En 1964, Buster Keaton se rendit au Canada pour réaliser avec Gerald Potterton et John Spotton un court-métrage intitulé "The Railrodder", le premier film depuis grosso modo la fin des années 1920 qui ressemblait à un film de Keaton, c'est-à-dire quelque chose qui ne soit pas le prétexte à seulement un caméo de sa part comme cela aura été le cas pendant ces trois décennies qui l'auront passablement lessivé (dépression et alcoolisme ont été au rendez-vous) et où il était sous contrat avec de grosses sociétés de production hollywoodiennes comme la MGM. Ce court-métrage n'est pas vraiment à la hauteur de ses meilleures collaborations passées avec Edward F. Cline ou encore Roscoe "Fatty" Arbuckle mais il s'est accompagné d'un documentaire tourné en parallèle, produit lui aussi par l'Office national du film du Canada, racontant le tournage et présentant Keaton vieillissant sous un nouveau jour, intime, assez unique qui lui vaut le détour. "Buster Keaton Rides Again" constitue une sorte de recueil de moments de tournage autant qu'une collection de témoignages de Keaton quelque temps seulement avant sa mort en 1966, et parvient à constituer une matière tendre et émouvante qui pourra être pertinente auprès de n'importe quelle personne amatrice de the Great Stone Face.
L'essentiel de ce court docu (au demeurant deux fois plus long que le court-métrage tourné de manière conjointe) montre l'envers du décor assez particulier, toute l'action ou presque étant située autour d'un de ces railroad speeders, un mini-wagon autonome circulant sur voie ferrée. On peut observer les interactions entre les 2 autres réalisateurs et Keaton, les différences de points de vue et les désaccords, et on ne sera pas vraiment surpris d'y trouver Keaton toujours aussi impassible dans sa soixantaine que lorsque il avait vingt ou trente ans. Ces moments captés en marge du tournage sont des moments de mise en abyme simples mais précieux, gorgés de détails drôles renseignant sur son tempérament, ses habitudes, et accessoirement son mariage. Keaton se dévoile un peu en même temps qu'il traverse le Canada et en parcourt les paysages sur son mini-wagon, avec toute sa modestie et tout son charme. Plus que la part documentaire racontant son histoire, son enfance au cirque ou ses talents précoces, c'est bien davantage cette accumulation de petits moments bizarres autour de Buster qui en font tout le sel.