De deux choses l’une : ou j’ai bien compris l’histoire, et les Avengers ont été vaincu, ou je ne l’ai point, et ils l’ont quand même été. Je m’explique. Si comme j’ai cru le comprendre, le temps est une dimension linéaire dans laquelle ce qui a été fait ne saurait être défait (ou plutôt ici ce qui a été défait ne saurait être refait), alors le retour des disparus (en réalité la réunion des pierres d’infinité) marque la fin de l’univers A et l’avènement du B et ne comporte donc en lui aucun motif de victoire. Vaincus dans le premier, les Avengers le sont donc toujours, dans la mesure où celui-ci n’existe plus.


Mais si jamais je me trompais, comme je le pressens, mon cerveau m’ayant lâchement abandonné aux portes de la salle, alors les Avengers auraient certes commué leur précédente défaite en victoire, sur la forme tout du moins, mais, dans le même temps, offert à Thanos une victoire totale sur le fond.


Je développe. Ici comme ailleurs, l’affrontement entre le Bien et le Mal procède d’une initiative du second, en l’occurrence cette ambition, malthusienne s’il en est, de rétablir une sorte d’équilibre dans l’univers moyennant la réduction de moitié de sa population. Les règles d’engagement sont donc dictées par le Mal et il appartient alors au Bien, sans ne jamais rien sacrifier de ses idéaux et de ses valeurs, de lui damer le pion ; il s’agit aussi de se glorifier, comme les chevaliers de la Table Ronde, qui devaient rigoureusement s’acquitter des défis imposés par leur challengers pour en ressortir victorieux et grandis. Car s’il venait à s’y soustraire, on aurait vite fait de le convoquer devant la justice pour félonie et d’annuler sa victoire ! Or, si l’on s’en tient strictement aux règles telles qu’elles ont été définies par Thanos, les Avengers ont, de mon point de vue, sinon perdu, du moins gagné en trichant. Ces Crétins de Troyes n’ont donc rien compris. Le Bien, s’il est le Bien doit certes triompher du Mal, mais encore le vaincre à son propre jeu pour révéler les faisceaux de contradictions, d’usurpations et de tromperie qui le composent. Comme le raisonnement en Sciences, le manière de vaincre importe autant, sinon plus, que le résultat en matière de manichéisme, voire de mazdéisme.


Si Thanos est l’incarnation du Mal, l’abolition de la moitié de la faune de l’univers, son funeste horizon, la réunion des pierres d’infinité, son moyen, et le sacrifice de sa fille, son ultime épreuve, il convient donc pour les Avengers, pendant du Bien, de contrarier ses plans, selon son plan. Pour simplifier l’exposé et parce qu’au fond, il ne s’agit que de ça, je résumerai cette lutte éternelle du Bien et du Mal, des Avengers et de Thanos, au seul duel entre Tony Stark et Thanos. Force est alors de constater que le premier, en culbutant le temps d’abord, et en refusant d’offrir à sa cause le sacrifice de sa fille ensuite, ne « joue plus à la loyale » et se rend même coupable d’un péché d’orgueil. A ce propos, il est amusant de noter que le génial et exubérant milliardaire affiche d’avantage les attributs du Mal que l’ascétique et nihiliste Titan, qui s’en revendique pourtant.


Evidemment, Thanos faisant peu de cas de sa progéniture devant sa mission, son sacrifice s’en retrouve plus facile que celui demandé à Stark. Il n’empêche ; cette audace, cette effronterie, cette immodestie face aux règles montre bien la complaisance des scénaristes à l’égard du Bien. Mais qu’on ne se méprenne pas ! Que celui-ci gagne ne me dérange absolument pas ; bien au contraire. S’il est vraiment le meilleur, qu’il en soit ainsi. Mais s’il l’est vraiment, qu’il en fasse seul la preuve, et qu’on ne recourt, en haut, à aucun subterfuge malhonnête pour l’avantager. On y verrait sinon l’aveu de son infériorité.


Mais qu’on juge bien mes intentions. Ce n’est ni le procès de Tony Stark, ni celui des scénaristes du film en particulier que j’intente, mais celui plus général de l’ensemble des Stark, non décapités, et de tous ceux qui, juchés sur leur colline, leur donnent trop facilement des victoires. On ne fait pas ce que l’on veut de ses jouets, si chers les a-t-on acheté par ailleurs. Car la propriété intellectuelle est une chose ; elle offre au créateur la jouissance totale de sa création – et en ceci, je serais bien mal avisé de condamner qui que ce soit. Mais l’intégrité intellectuelle, elle, en est une autre, bien différente. En effet, eu égard à cette dernière, et contrairement à la première, le statut de démiurge oblige d’avantage qu’il n’autorise. Il doit enchainer l’imagination dans les mailles de la raison plus que l’en arracher. Avoir les clés du royaume ne justifie aucunement qu’on le circonvienne et le pervertisse.


J’admets cependant tout à fait qu’au moment du bain, alors que sa mère s’apprête à libérer dans les égouts l’océan qu’il s’était figuré, un enfant fasse surgir de ses profondeurs un terrible kraken pour avaler l’armada de Sa Majesté et mettre fin à la bataille navale, tout en mettant ce succès au crédit des pirates. Après tout, qui d’autre que lui-même trompe-t-il ? Personne ne viendra s’en plaindre. Que l’on offre maintenant ce spectacle aux yeux d’un public et la supercherie se révèlera d’elle-même : quid de la logique interne du récit ?


Alors certes, le Mal n’a jamais eu vocation à remporter de guerre (et c’est bien regrettable), bien qu’on lui concède parfois quelques batailles pour laisser planer une sorte de doute quant à l’issue finale ; son rôle est avant tout fonctionnel. Il s’agit seulement pour lui de mettre le Bien face à ses responsabilités et d’exiger de lui le meilleur. Là encore le schéma des quêtes des chevaliers d’Arthur était le même. Bref, il n’est qu’un prétexte au déroulement du récit. De là à dire qu’il n’a d’autre existence qu’au travers des effets qu’il provoque chez le Bien, il n’y a qu’un pas que les scribouillards d’Hollywood se sont permis de franchir. A en croire ses anti-existentialistes, son essence précèderait même son existence. Position particulièrement délicate à la réflexion puisqu’elle refuse également au Bien ce qu’elle nie au Mal : une forme de libre arbitre. Et dire que l’un et l’autre sont déterminés, c’est les exonérer de toute responsabilité face à leur acte. D'où qu’il est si aisé, chacun étant par ailleurs égal devant l’application qui est faite de la loi faut-il le rappeler, de se faire l’avocat du diable dans la plupart des créations télévisuelles et cinématographiques américaines.


Comme je le disais plus haut, ne sachant pas déjouer le plan de Thanos selon ses règles dans le premier acte, les Avengers ont donc perdu la bataille. Et, s’il n’y en avait pas eu un second, gageons que l’on aurait dit la guerre - quoique je pinaille puisque s’il n’y en avait pas eu, ils l’auraient emporté à la première manche. Et c’est justement là le problème. Dans l’esprit des scénaristes, quelque cuisantes puissent êtres les défaites infligées au Bien, elles ne sauraient entraver sa victoire finale. Alors, comme les dramaturges grecs les plus cossards empêtrés dans leur imbroglio, ils recourent au sempiternel « deus ex machina » pour s’en dégager. Un subterfuge que Homère n’aurait pas renié (lui savait-il encore raconter une histoire et vivait-il a une époque où la superstition décidait de l’issue des conflits) mais dont Aristophane ne pouvait se contenter, à raison. En l’occurence, donc, une véritable machine, offrant aux Avengers un voyage rédempteur dans le temps. Et il s’en serait fallut de peu pour qu’elle ne voit jamais le jour ; si Thanos n’avait pas malencontreusement fait disparaître les acolytes d’Ant-Man, ce dernier ne se serait pas retrouvé piégé à l’échelle atomique et n’aurait donc pas expérimenté la dilatation du temps à la base de ladite machine. Comme si, finalement, le Mal s'était lui-même vaincu, comme si l’antidote gisait caché dans la maladie elle-même. Son essence précède donc bien son existence : il lui est impossible de triompher, quand bien même il se montrerai le plus ingénieux, puisque son destin est de perdre. Il suffirait presque d’attendre que le sort s’occupe de son cas.


Comment ne pas s’en offusquer? Telle est la victoire, tels sont les vainqueurs : des usurpateurs. Comment tolérer par exemple qu’une Arya Starck supposément formée à l’art de l’assassinat, réussisse un saut de 40 mètres à l’insu de tous et mette un terme à huit saisons de teasing autour du Night King sans que Patrick Montel ne crie au dopage?! Car c’est bien de dopage scénaristique dont on parle là.


Mais bon, je me bats sûrement encore contre des moulins à vent, et à supposer qu’ils soient les « gentils » et moi le « vilain », j’ai tout lieu de penser que mon entreprise est vouée à l’échec alors qu’elle me semble juste.

blig
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le 4 mai 2019

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