Si le volet original utilisait ses effets avec parcimonie et modérait sa folie pour la placer avant tout au service du cadre qui la portait – à savoir la ferme –, cette suite exporte cochon, canard et fermière dans les tumultes d’une grande ville et, se faisant, déboulonne sa machinerie burlesque. Ce Babe 2, c’est du grand n’importe quoi sur pellicule, un délire dans lequel la dramaturgie n’est composée que d’une succession de saynètes qui, l’une après l’autre, repoussent l’imaginable et le vraisemblable. George Miller nous révèle ainsi la face cachée du premier long-métrage, une face aussi bruyante et chaotique que l’espace urbain, sorte de pot-pourri de tout ce que la culture standardisée des grandes métropoles peut offrir au commun des touristes : la réplique d’une Tour Eiffel, d’une statue de la Liberté, d’un pont de San Francisco, de la fameuse colline où l’on peut lire les lettres blanches d’Hollywood. Nous assistons à la recréation, en miniature, de l’univers du cliché américain, formant un petit Las Vegas. Le périple de la fermière dans la ville s’apparente d’ailleurs à une traversée dans les studios de Miller : les policiers évoquent le monde de Mad Max, de même que les malfrats, un vieux tacot rouillé en préambule. Une pluie de ballons évoque, on peut le penser, Les Sorcières d’Eatswick. Au-delà du placement référentiel que seuls les cinéphiles reconnaîtront, ces insertions un peu grossières semblent attester la lucidité du cinéaste sur ce qu’il délivre à son public : une production de divertissement, loin des œuvres indépendantes marquant ses débuts. C’est dire que George Miller a contribué à forger l’idéologie culturelle de l’Amérique, et qu’il n’hésite pas à plonger ses personnages dans un parc d’attractions dont le thème serait justement son cinéma, mais parodié. Conscient de son statut de suite, Babe 2 refuse néanmoins les redites et transforme son aventure en spectacle forain, sa clausule témoignant à ce sujet d’un clownesque généralisé lorsqu’une salle de mariage subit les agitations de marginaux dont la soif de liberté sonne comme une revanche sociale. Nous retrouvons ici le goût du cinéaste pour les exclus d’une société consumériste, n’ayant pas peur de troquer un vieil animal pour un plus jeune. Un chien éclopé, un autre méchant de naissance, un orang-outan tout droit sorti de l’Ancien Régime... Le film s’entoure d’une galerie de freaks qui, grâce à la bonté du petit cochon, gagnent le devant de la scène pour renvoyer aux êtres humains leur barbarie profonde. Il transforme également la ferme, lieu topique du film originel, en espace utopique et bucolique. La boucle est bouclée, et le potentiel de Babe exploité de fond en comble. Un grand divertissement intelligent.