En 1996 débarquait sur les écrans Babe, le cochon devenu berger écrit et produit par George Miller qui confia cependant la réalisation à un certain Chris Noonan. Le succès fut phénoménal à tel point qu’une suite est immédiatement mise en chantier. C’est en 1999 que Babe, le cochon dans la ville sort sur nos écrans. Malheureusement, le succès commercial ne sera pas au rendez-vous, ne rapportant que 50 millions de dollars dans le monde pour un budget avoisinant les 100 millions. La malédiction se répétera une décennie plus tard avec les Happy Feet dont le premier opus aura mis tout le monde d'accord au point même de recevoir l'Oscar du meilleur film d'animation cette année là. Cependant cela n'aura pas empêcher au second opus d’être injustement boudé par le public et la critique, ce qui aura, à peine, manqué de mettre en pérille la production du grandiose Mad Max Fury Road, bref revenons à ce joyau oublié qu'est Babe 2.
Dès les prémices de l’histoire, George Miller prend le risque, malheureusement vain au vu de l’évidente incompréhension qu'aura eu le film auprès du public, d’éloigner son film du simple conte pour enfants et le confond en une œuvre profondément existentielle. Le métrage mélange les genres par petites touches subtilement déposées sur un tableau rarement blanc. En une même séquence, le cinéaste jongle abruptement entre humour communiant (répliques de Ferdinand, les petites souris, divers gags de situation) et terrifiante réalité (les enfants malades, la mise en fourrière des animaux, les chiens errants symbolisant les exclus, les SDF). Chaque scène de comédie est constamment cassée par une chute, une réplique en demi-teinte afin de ne jamais s’éloigner du vrai sens du film.
Car si Babe fut vendu comme un enfantillage, il demeure avant tout un véritable pamphlet humaniste tentant de recentrer la vraie place de l’homme à l’échelle de la Terre. Ainsi Miller image ses critiques véhémentes contre ceux qui, de par leur statut, façonnent notre monde : les scientifiques, arrachant les animaux à leur vie harmonieuse pour les enfermer, les banquiers, dont l’arrivée à la ferme provoque immédiatement un orage, les policiers, rigoristes qui appliquent les protocoles jusqu’à l’absurdité, les bourgeois, dont les festivités nombrilistes, seront écourtées, pour leur plus grande tristesse, par ces animaux à qui l’on refuse le droit d’exister.
L’utilisation d’animaux permet au cinéaste, de s’adresser aussi bien aux petites têtes blondes qu’à leurs parents, mais surtout lui permet d’exploiter un thème qui semble lui tenir à cœur depuis le début de sa carrière, la Résignation. Ainsi, le parcours initiatique d’un petit cochon, aux capacités limitées relatives à son genre, devient une ode à la découverte de soi, à la compréhension d’un monde tout en contradiction où chacun peine à trouver sa place. Babe comprendra, très vite, que le prix à payer pour la vie, la vraie, est celui de faire fi de tous les principes établis, d’aller à l’encontre de l’ordre des choses, dans l’unique but de transcender son statut de simple « nourriture pour humain ». Il en est de même pour le vieil orang-outang qui ne veut pas se résigner à n’être qu’un singe. C’est un homme, et souhaite être vu comme tel (d’où une scène lourde de sens où le primate prend le temps de s’habiller alors que tous ses camarades s’apprêtent à s’enfuir de la fourrière).
Tout au long de son périple, Babe ne cessera de donner des leçons de vie et d’amour aux différentes âmes qu’il croisera au point de devenir le guide spirituel et existentiel d’êtres esseulés, perdus dans le marasme d’une ville monde où le libre arbitre individuel est relayé au rang d’utopie naïve.
Dans les précédents films du cinéaste (Lorenzo et Babe, le cochon devenu berger), on retrouvait déjà cette volonté farouche de George Miller à faire de ses personnages des petits grains de sable qui enrayent une machine devenant bien trop étouffante. On retrouvera cette même volonté féroce avec Mad Max Fury Road et bien sur avec les deux pépites que sont Happy Feet 1 et 2 transposant, pour l’occasion, cette thématique à des fins métaphysiques dans un univers où tous les êtres sont consubstantiels et font avancer le monde ensemble.
Enfin, on ne saurait que féliciter les efforts logistiques et technologiques monstrueux mis en œuvre, pas moins de 48 cochons pour incarner Babe couplé à des animatroniques et de subtiles images numériques ne prenant jamais le pas sur la puissance d’évocation que nous réserve cette perle très noire mais rare. Le spectateur n’est à aucun moment berné par un florilège de démonstration technique, mais submergé par des séquences somptueusement mises en images par un auteur faisant fi de tout cynisme au profit d’une sincérité à toute épreuve.
À l’heure où la tendance des films pour enfants est à l’apologie du second degré complice, George Miller nous offre une œuvre humble, dont l’essence tient du premier degré salvateur et dévoile l’un des plus beaux messages d’espoir jamais vu au cinéma.