Ils en auront parcouru, des kilomètres, le loup à l'enfant et leur chariot, avant d'atterrir sur les pentes enneigées qui ouvrent et ferment ce dernier chapitre. Combien de corps charcutés, combien de membres sectionnés, combien de crânes brisés, combien de torses perforés, combien de coups de feu tirés ? On ne compte plus. De la même manière, les réalisateurs qui se sont succédés aux manettes des six volets (Kenji Misumi, donc, principalement, mais aussi Buichi Saito et en l'occurrence Yoshiyuki Kuroda) n'auront eu de cesse d'expérimenter les structures narratives et les délires esthétiques originaux. Combien de trouvailles par épisode ? Non, décidément, on ne compte plus. On se gave, c'est tout.
Et ici, sur ce paradis blanc de l'enfer, autant dire que c'est un sacré festival de chairs mutilées. Rien que dans la dernière séquence de boucherie à ciel ouvert, à ski ou en chariot, Ogami Itto n'aura jamais autant abimé son affûtage. Une centaine de cadavres derrière lui, au bas mot. C'est même là, à mon sens, tout l'enjeu de ce dernier volet : consacrer l'apothéose et conjurer la fin de saga en en faisant beaucoup. Vraiment beaucoup. Beaucoup trop, même. L'orgie dont tout le monde doit se souvenir.
Une chose est sûre, on se souviendra de ce sixième film comme celui qui nous aura gratifié du plus gros clin d'œil au grand film d'espionnage alors en vogue : "Live and Let Die" était sorti l'année passée. Le thème musical très proche ne laisse aucune place au doute (il prendra même des accents soul très agréables sur la fin, dans la lignée des films de blaxploitation), pas plus que les quelques séquences de glisse. On aura même droit à un plan sur les fesses de Daigoro assez gratuit, aussi gratuit que la mort d'un gentil marchand de bonbons, d'une femme ramassant un sifflet-dragon et de tous les résidents d'une auberge qui auront tous eu la malchance de se trouver dans les environs de Ogami itto, au mauvais endroit, au mauvais moment.
Mais derrière la profusion d'éléments bigarrés de scénario, force est de constater qu'on ne retrouve pas le sel esthétique ni les ambitions délirantes et outrancières qui faisait tout le charme des meilleurs volets. Les délires expérimentaux, quand ils ne sont faits qu'à moitié, on le ressent très vite. "Le Paradis blanc de l'enfer" a beau multiplier les ennemis, le rythme s'essouffle malheureusement un peu trop vite. Le bon point du film, sa dimension vraiment originale (c'est un film de la saga Baby Cart après tout), c'est l'introduction d'une thématique jusqu'alors absente de la série : le fantastique. Yagyu Retsudo, l'ennemi juré de Ogami Itto, après avoir mandaté sa fille Kaori experte en couteau (enfin, pas si experte que ça tant elle se fait découper en deux temps trois mouvements, mais passons), ira retrouver son fils illégitime Hyouei et sa bande de goules dégueulasses adeptes de la magie noire et des voies souterraines dignes des vers de terre. Honnêtement, en prenant du recul, on peut trouver ça drôle ou ridicule comme principe… voire parfaitement inefficace dans la neige, comme ils auront tôt fait de l'apprendre. Mais le voile baroque et mystérieux qui accompagne cette partie fantastique du récit sied relativement bien à l'apothéose dramatique de la série. L'imagerie dont le film se nourrit dans ces segments mystiques diffuse son imaginaire bizarre non sans une certaine efficacité.
Le film se termine comme il a commencé : sur la neige et sur fond d'ersatz de musique de James Bond, la seule différence étant la centaine de cadavres jonchant le sol et les hectolitres de sang dont se sera gorgée la neige. Une fois le dernier carnage consommé, une fois la dernière jouissance délivrée, la série Baby Cart peut refermer les portes du chanbara gore et bis par lesquelles elle nous aura agréablement laissés pénétrer.
[AB #201]