En 2019, Monia Chokhri se lançait avec son premier long métrage, La femme de mon frère, avec l’énergie d’un bulldozer dans une comédie fantasque et inventive, malheureusement bien trop longue pour tenir la distance. La leçon semble avoir été apprise pour son deuxième essai, qui n’atteint pas les 90 min et adapte une pièce de théâtre parfaitement dans l’air du temps. Il y sera question de parentalité et d’une crise masculine contemporaine obligeant un homme à se définir face à ses automatismes, intégrant jusqu’à l’aliénation sa volonté d’en finir avec tous les mécanismes du patriarcat.
Babysitter est une farce qui n’épargne pas grand monde, tout en préservant une véritable tendresse pour ses personnages. La mère dépassée par une enfant pleurant en permanence voit défiler tous les excès en matière de sur-éducation (éveil musical, bébé-nageurs, et une pédiatre qui consulte sur un gigantesque lion en peluche) masque doucement sa dépression en prétendant reprendre le travail, histoire de rester la femme forte imposée par nouvelle forme de tyrannie. Son mari expie une bouffonnerie de collégien en tentant de lui donner la forme d’une leçon de vie fondamentale, tandis que son beau-frère produit de grands discours conceptuels pour calmer ses érections coupables face à la chair fraiche.
Au cœur de cet écheveau de névrose débarque donc la babysitter éponyme, littéralement sortie de nulle part, et aux aptitudes hors du commun : déversoir à fantasmes, passeport libertaire, sa seule présence accroit autant le loufoque qu’elle fait basculer le récit vers l’onirique, voire le fantastique.
Car Monia Chokri, déjà généreuse en effets sur son premier essai, ne se refuse ici pas grand-chose, à l’image de son personnage qui va progressivement réapprendre à écouter ses désirs. La mise en scène tapageuse, dès l’ouverture en gros plans et cuts brutaux, se met au diapason d’individus en surchauffe. Le surjeu est donc assumé, les cadrages suffisamment insolites pour désaxer les enjeux et nourrir une hyperbole caricaturale presque constante. L’abus des longues focales traque les limites de la perception de protagonistes rivés à leurs angoisses, dans une étroitesse d’esprit parfaitement rendue par le décentrage ou le découpage des espaces.
L’agacement n’est jamais loin, tans le formalisme est exhibé, même si l’on ne peut exactement lui reprocher sa gratuité : cette sorte de parade festivement maladive moque certes l’époque, par excès de discours, de théories, de justifications, ce comique de répétition jusqu’à la nausée et cette médiocrité des fantasmes soulignée par une direction artistique héritée des sitcoms ou des clips scintillants des 70’s. Mais elle montre aussi un certain malaise civilisationnel qui semble dans l’impasse, et qui ne pourra trouver de rédemption que dans le recours à la fiction d’une créature onirique, dont la langue étrange se dissipera dans la brume.
(6.5/10)