Cliniquement asséné, ce constat truculent détourne adroitement la logique éculée des comédies de mœurs. Flirt chaloupé, Babysitter vagabonde joyeusement au cœur des travers inapparents d’une société fondamentalement déréglée. Mona Chokri y aiguise son style qui, employé sciemment, actionne une panoplie de questionnements. Tonalités baroques, songeries déjantées et incursions horrifiques officient continuellement des ruptures narratives qui viennent mettre en exergue – emphatiquement, certes – la déliquescence sociologique d’un monde chamboulé par les ondes de choc survenues pendant (et après) #MeToo. Exagération de mise, la réalisatrice opère dans une démarche jusqu’au-boutiste, jouant de l’énervement, de la fatigue et de l’incompréhension de l’auditoire afin d’organiser son propos. Circonvolutions qui s’éparpillent, désordonnées, les progressions scénaristiques retranscrivent brillamment un climat social parfaitement confus et où règne une agitation prégnante. Gestes précisément orchestrés, les effets de style de la metteure en scène distendent en permanence les ambiances visuelles, multipliant vignettages, saturation colorimétrique, segmentation des cadres et recours à des valeurs de plan extrêmement rapprochées. Exacerbée par un montage clinquant, qui catapulte les plans plus qu’il ne les déroule, l’atmosphère déroute par ses apparats criards, reflets de l’exubérance sociétal joyeusement moquée. Jamais convoqué, le sens moral qui viendrait critiquer des attitudes identifiées comme symptomatiques de la masculinité toxique est plutôt remplacé par la lucidité de Chokri qui brosse un tableau impartial des dysfonctionnements humains. Concentrique, le rapport à la condition féminine fait orbiter les démêlées narratives, suscitant de succulentes et inattendues séquences où les agissements des personnages se déforment avec extravagance. En bout de ligne, une incandescence palpable se dégage du long métrage qui irradie d’excentricité – parfois pour le pire, à l’instar de l’esthétique foncièrement anachronique – et s’astreint à diagnostiquer le curieux malaise systémique engendré par les luttes et revendications répétées faites sous l’égide de l’émancipation féminine. Honnête et désopilante, l’approche décrit sans complaisance une structure sociale en proie au délire, y faisant même écho avec ses nombreuses divagations stylistiques, qui assoient par le fait même la maîtrise technique louable de la réalisatrice. Maîtrise qui étale ses excès sans pudeur, optant à certains instants pour une ostentation fate qui dénature l’intelligence du propos. Certains l’accepteront, d’autres se cabreront, refusant l’opulence périodiquement superficielle de la proposition.
Tous ces effets d’optique, obstructions visuelles gênant la clarté de l’image, formulent ultimement un propos incisif sur l’aveuglement social, ses biais cognitifs et ses entraves contrevenant au dialogue collectif, rappel inévitable des considérations du giallo italien, genre dont le maniérisme pictural semble s’être infusé considérablement dans les obsessions formelles de Monia Chokri.