Le message de "BAC Nord" est simple, clair, et asséné systématiquement pendant les 107 longues, très longues minutes du film : nos banlieues sont des zones de non-droit, dans lesquelles la population toute entière se dresse au côté des trafiquants lourdement armés, pour empêcher l’état d’intervenir ; face à cette situation digne d’un conflit au Moyen-Orient, nous pouvons compter sur nos valeureux policiers qui connaissent le terrain et sont suffisamment infiltrés – au péril de leur vie, et au prix de quelques entorses bénignes à la morale « politiquement correcte » des islamo-gauchistes -, se battent pied à pied contre cette dégénérescence sociétale ; ils sont malheureusement trahis par leur hiérarchie qui fait preuve à la fois de lâcheté et d’incompétence, et par les politiciens qui ne comprennent rien à la situation, à la « vraie vie ».
On a certes l’habitude du ressassement de ces propos nauséabonds sur les chaînes de télévisions aux mains des démagogues d’extrême-droite, et sur les réseaux sociaux où règnent les extrémistes de tout poil, mais il est consternant de constater qu’on est désormais passé au même type de propagande dans le cinéma français « populaire », dans un film qui plus est présenté hors compétition au Festival de Cannes. Et de se rendre compte que les critiques de "BAC Nord" font largement l’impasse sur l’aspect profondément mensonger et falsificateur de la vérité de son scénario.
Car Cédric Jimenez, le très médiocre architecte du projet, cumule sans vergogne manipulation et hypocrisie en adaptant un fait divers dramatiquement réel, le démembrement de tout un réseau de policiers ripous à Marseille – la plupart condamnés par la justice -, et en le transformant en glorification de trois « vrais flics » (comprenez aussi « vrais hommes », avec virilité exhibée en permanence, sens exacerbé de l’honneur et de la camaraderie, amour des chiens – avant les femmes qui sont réduites ici à prendre les coups de fils et à pondre les gosses -, petites combines sympas pour ne pas payer son kebab quotidien, maîtrise de la technique du barbecue en famille au soleil, etc.) qui font ce qui peuvent, malgré l’absence de moyens, l’obsession du chiffre des politiques, la couardise de leur hiérarchie, et on en passe… pour contenir les « sauvages » arrogants et surarmés. Si Jimenez nous prévient d’emblée que les faits contés dans son film ne sont pas réels, tout ce qu’il montre ensuite est construit pour accentuer au contraire le sentiment d’une réalité « documentée », depuis l’épuisant filmage tremblé inventé par Ridley Scott dans son "Black Hawk Down" (la référence du film de guerre hollywoodien est omniprésente dans "BAC Nord") jusqu’au carton final expliquant le parcours futur des protagonistes, entre « sainteté », dévouement et humiliation (on se demande bien d’où ça sort, puisque ces trois hommes ne sont pas « réels », mais Jimenez ne nous laissera pas quitter la salle sans avoir bien instillé le doute…).
De nombreuses voix semblent s’élever pour célébrer le film comme un « divertissement très efficace », comprenez « à l’américaine », comme si le modèle hollywoodien de plus en plus bas du front était désormais la référence ultime, faisant fi de la grossièreté générale de la mise en scène et de l’interprétation (Lellouche, qui fait du Lellouche encore plus testostéroné et outrancier qu’à son habitude, nous a, à nous, semblé insupportable !)… C’est être incroyablement généreux, voire inconscient par rapport à un film politiquement toxique, qui fait preuve d’un irrespect total tant vis-à-vis des populations qui vivent dans les quartiers difficiles de Marseille (et d’ailleurs) que vis-à-vis de la vérité.
Cela s’appelle du cinéma nauséabond.
[Critique écrite en 2021]