En septembre 2020, les producteurs de BAC Nord dévoilaient la bande-annonce du prochain film de Cédric Jimenez pour une sortie prévue en fin d’année. Mais la recrudescence des cas de Covid-19 avait finalement décalé sa sortie à la fin de l’été 2021, dans une période où le public avait encore peu la tête au cinéma. Le film fit pourtant l’objet de polémiques sur une possible utilisation démagogique durant la campagne présidentielle qui s’ouvrait alors.
Il faut dire que BAC Nord pouvait facilement être perçu comme un objet politiquement explosif. Il semble en effet condenser toutes les peurs relatives à la situation culturelle et sécuritaire de notre pays. Les uns y verront la démonstration de l’état de révolte des banlieues vis-à-vis de l’État qu’ils dénoncent depuis tant d’années. Les autres y verront la victoire intellectuelle des premiers, parvenant à imposer leur image d’une banlieue monolithique livrée toute entière à la violence des délinquants. Comme si cela ne suffisait pas, le film prenait position dans une affaire judiciaire encore non jugée.
La bande-annonce pouvait choquer par l’omniprésence des symboles négatifs attachés aux cités difficiles : armes à feu, drogue et guetteurs encagoulés. Le long-métrage en lui-même peut apparaître comment dangereux car il est surtout une dénonciation de l’État, opposant la réalité du terrain au cynisme des bureaucrates préoccupés de faire du chiffre et fustigeant la lâcheté d’une hiérarchie choisissant de sacrifier quelques fonctionnaires pour acheter la paix sociale et sauver ses carrières. En conséquence de ces renoncements et de l’impuissance de l’État à faire régner l’ordre, la police apparaît plus que jamais comme une bande rivale de plus au sein des quartiers. Au contact des voyous, les agents en viennent à adopter leur code et à flirter avec l’illégalité qu’ils doivent réprimer. Nous sommes bien loin des policiers proprets des séries du service public. Greg (Gilles Lellouche) affiche une volonté d’en découdre face aux dealers qui l’humilient. Antoine (François Civil), cheveux longs décolorés et maillot de Zidane sur le dos, fume le cannabis qu’il saisit et l’échange contre des informations. Mais si la police perd le sens de la légalité et de la justice, il n’y a plus d’espoir d’éviter le chaos et l’affrontement. Le personnage de Greg le dit à son supérieur : « Les habitants des quartiers, ils ont même plus d’espoir qu’on vienne les aider, c’est fini ». Non seulement la confrontation violente apparaît inévitable mais elle est rendue esthétique par la mise en scène. Les trois personnages principaux ont adopté partiellement la morale des délinquants avec un charisme certain et un fatalisme qui semble indiquer que c’est la seule réponse possible, d’où le procès en virilisme qui a pu être intenté au film.
Mais ce procès me semble injustifié. Car BAC Nord peut être regardé comme un appel à faire émerger une troisième voie entre deux dangers : l’affrontement général et la corruption généralisée. Si son tort est d’être trop peu subtil pour faire émerger l’optimisme, préférant une description fantasmée des banlieues, il aborde des problèmes qui réapparaissent régulièrement dans l’actualité : la perte de sens dans le métier de policier, le manque de moyens, les difficultés à garantir la probité des forces de l’ordre...
Paradoxalement, malgré plusieurs scènes musclées, le film est peu rythmé jusqu’à l’opération d’ampleur visant à démanteler un trafic dans une cité des quartiers nord. Les personnages sont peu approfondis malgré quelques tentatives pour les humaniser. Rares sont les instants qui montrent les policiers dans leur vie privée et les trois protagonistes sont globalement réduits à une ou deux caractéristiques : l’expérience de Greg, la paternité de Yass (Karim Leklou), le look improbable d’Antoine et sa relation avec son indic.
Tout change avec la scène de l’assaut qui parvient à immerger le spectateur dans la tension d’une telle opération. Ce dernier n’en est que plus indigné lors de la dernière partie du film centrée sur l’enquête de l’IGPN et la détention provisoire de Greg, Yass et Antoine. Il peut enfin s’attacher aux personnages principaux confrontés à ce qui lui apparaît comme une injustice manifeste. Gilles Lellouche livre une prestation poignante dans son rôle d’homme confronté à la trahison d’un ami. On retrouve alors l’atmosphère des films américains dans lesquels un honnête citoyen est confronté à un système qui le broie. L’ébauche de réflexion sur l’éthique du policier vis-à-vis de ses indicateurs est également intéressante. Il est dommage qu’elle soit trop peu développée.
Si BAC Nord conduit le spectateur à prendre fait et cause pour les agents de terrain, on peut comprendre qu’il lui ait été reproché une approche simpliste d’une affaire judiciaire beaucoup plus complexe. Trop binaire, voilà en définitive la critique majeure que l’on peut adresser au film de Cédric Jimenez. A la manière de Tarantino dans Django Unchained, il présente un long-métrage binaire à la morale ambigüe, un film esthétique qui ne s’embarrasse pas de subtilités ni de précautions. Un film intéressant et mémorable, porté par une excellente bande son, mais malheureusement trop immature.