Film inscrivant le genre de l’auto-défense au cœur du drame national que représentent les massacres de 1944, Le vieux fusil a incontestablement touché, et touche encore, le public. L’inspiration américaine dans un film sur une période tragique de l’histoire de France, la violence graphique rare pour l’époque et la disparition à seulement 37 ans du compositeur de la bande-originale, François de Roubaix, trois mois après la sortie en salle nous font comprendre aisément que Le vieux fusil ait marqué les spectateurs et la profession de l’époque. Mais au-delà de ce contexte, le film couronné par un « César des Césars » en 1985 est entré dans le patrimoine cinématographique français. Pourquoi ? Cette postérité est plus étonnante pour un film assez mal maîtrisé qui n’a pas fait naître en moi de profonde émotion.
A Montauban en 1944, un chirurgien débonnaire, Julien Dandieu, interprété par Philippe Noiret, s’efforce de répondre à sa vocation en soignant des maquisards malgré les menaces des miliciens. Rentré dans son foyer, il mène une existence aussi heureuse que le permettent les évènements aux côtés de sa femme Clara, incarnée par Romy Schneider, et de sa fille Florence, née d’une précédente union. Cette famille unie rêve d’un bonheur que la fin de la guerre approchant pourrait leur apporter. Afin de mettre en sécurité sa famille menacée, le docteur Dandieu les fait conduire par son ami François (Jean Bouise) dans le château familial situé à quelques heures d’auto. Souhaitant rendre visite à sa femme et sa fille, Dandieu découvre quelques jours plus tard des villageois massacrés dans l’Église, puis sa femme et sa fille visiblement tuées dans des circonstances atroces. Ivre de chagrin, il n’a plus que le désir de se venger de la division SS retranchée au château, armé du fusil de chasse de son père.
Comme dans Les Aventuriers, Robert Enrico montre des personnages s’efforçant d’affronter les difficultés de la vie avec légèreté avant d’être confrontés à un drame qui les détruit. Mais dans Le vieux fusil, dont le scénario est beaucoup plus sombre, la représentation du tragique me semble fonctionner moins bien.
La tragédie qui se joue sous nos yeux a échoué à susciter en moi un véritable effroi et à me faire partager l’émotion de Julien Dandieu. La faute à une introduction trop longue ou trop courte. Sans doute aurait-il fallu oser présenter beaucoup plus longuement l’harmonie précédant le drame ou au contraire la faire vivre uniquement par les souvenirs du médecin durant sa vengeance. Or les flash-backs semblent ici tenter de développer des éléments qui l’ont trop peu été dans la première partie. Ils ne font malheureusement que décrédibiliser la relation de couple entre Julien et Clara.
Notamment par la scène de la rencontre beaucoup trop rapide et artificielle.
Pour susciter l’émotion, le film mise sur le contraste entre ce bonheur perdu et la violence de l’affrontement entre un homme brisé et des soldats allemands. Mais là encore, il procède par des moyens trop faciles en s’appuyant sur une représentation très crue de la violence. On se situe alors davantage dans le film d’action basique que dans le drame psychologique. Or cette insistance sur l’affrontement et la traque du tireur embusqué ne permettent pas à Philippe Noiret d’exprimer tout son talent. L’acteur est pourtant particulièrement doué pour exprimer ce mélange de mélancolie, de révolte et de désenchantement qui aurait pu correspondre à son personnage.
On perçoit néanmoins le talent des interprètes, Noiret et Schneider en tête, dans quelques scènes, comme celle où Dandieu explique à sa fille pourquoi sa femme l’a quitté. La musique de François de Roubaix, qui évoque à la fois la nostalgie et l’insouciance regrettée, est également une réussite et a sans doute beaucoup contribué à graver le film dans les mémoires.
Si les films sur la Seconde Guerre Mondiale sont nombreux, peu ont décrit avec autant de violence le traumatisme occasionné par cette tragédie dans notre pays. Le vieux fusil traite de ce sujet profond avec une histoire puissante qui aurait dû être bouleversante. Il est dommage qu’il tombe si rapidement dans la facilité tant son potentiel était grand.