Le Vieux fusil fut un énorme succès en 1975 et fut si mes souvenirs sont bons le premier césarisé, puisque la cérémonie des Césars venait de naître la même année, je revois encore Jean Gabin déclarant ouvrir la cérémonie ; j'ai vu le film assez jeune, non pas à sa sortie, mais beaucoup plus tard lors d'une diffusion télé au tout début des années 80, et je me rappelle avoir été retourné, d'une part parce que j'étais en âge de mieux comprendre un film dramatique et d'analyser le jeu d'un acteur, et d'autre part, de par son sujet qui renvoyait à l'atrocité du massacre d'Oradour-s/Glane, village du Limousin victime de la barbarie nazie semblable à ce que l'on voit ici. D'ailleurs Enrico n'a jamais caché qu'il s'était inspiré de ce drame ; ça m'a secoué d'autant plus que je venais de lire quelques temps avant le récit de cette atrocité dans un bouquin prêté par mon grand-père qui collectionnait à peu près tout ce qui touchait la Seconde guerre mondiale et particulièrement l'Occupation. Je ne visiterai Oradour que plus tard, vers 1986 ou 1987, et ce sera probablement l'un de mes souvenirs les plus douloureux en tant que touriste, encore que ce village laissé en l'état, ne doit pas être visité sans respect, pas comme on visite ceux de l'asso des Plus Beaux Villages de France, il y a quelque chose en ce lieu qui vous interpelle, c'est lourd de signification.
Aussi, voir ce film extrêmement poignant qui rappelait des souvenirs tragiques, et qui renvoyait à tous ces martyrs perpétrés par les nazis, me plongea dans une sorte de mélancolie dont je mis du temps à me sortir. Et puis après, je revins directement au film en lui-même et au propos soulevé par Robert Enrico, qui tourna son film dans un petit village paisible du Tarn-et-Garonne : Bruniquel, aujourd'hui classé dans les Plus Beaux Villages de France, et que j'ai pu photographier et visiter dans les années 2000.
Le Vieux fusil joue sur les ressorts viscéraux de l'homme brutalement plongé dans l'horreur la plus abjecte ; il met en jeu les sentiments personnels de cet homme, Julien Dandieu incarné par Noiret, qui se trouve devant le mal absolu, l'atrocité sans nom, et qui se demande comment des êtres humains peuvent se rendre coupables d'une telle barbarie. Il prend donc le droit de se faire justice lui-même en cassant du boche à travers les couloirs secrets d'un vieux château qu'il connaît par coeur.
Enrico a opposé le présent avec ce justicier rural et son malheur, et le passé grâce à des flashbacks où il revoie ses moments de bonheur avec sa gamine et son épouse incarnée par une Romy Schneider éblouissante ; ainsi, le drame humain est-il plus vivement ressenti, cette famille brisée par la mort ramène à toutes les victimes du nazisme et des crimes de guerre, et le caractère ambigu de cette vengeance expiatoire est contrebalancé par la description sensible de ces flashbacks. Le public ne s'y est pas trompé et fit un triomphe à ce film qui reçut 3 Césars, parce qu'il opposait un petit toubib craintif mais brisé face à des soldats nazis bien armés, accomplissant sa vengeance non pas à la manière de Charles Bronson, mais d'une façon système D, armé d'une vieille pétoire. J'ai revu ce film dernièrement non sans une certaine douleur ; il doit son succès pour une grande part à la forme de sa vengeance et surtout à la performance bouleversante de Philippe Noiret, bien soutenu par les rôles secondaires de Romy et de Jean Bouise, acteur discret que j'ai toujours apprécié. Un film qui fait réfléchir.