Bad Boy Bubby commence d’une façon tellement glauque qu’on se croirait dans un film néerlandais, voire chez Lars Von Trier : le quotidien d’un grand enfant de 35 ans séquestré depuis sa naissance par sa mère qui lui fait croire que l’extérieur est irrespirable, et l’éduque à coup d’insultes, en le frappant ou couchant régulièrement avec lui. Sur le même sujet que le récent Room, une partition bien différente.


C’est éprouvant, sombre, grotesque aussi : Bubby ne connait rien du monde, ne maîtrise pas vraiment le langage et se contente de faire des expériences avec son chat qu’il va finir par étouffer comme sa mère et son père revenu désordonner la cellule perverse et accidentellement en ouvrir les cloisons.

Le récit s’attache donc principalement à confronter notre Rain Man souillé au monde extérieur. Les premiers contacts en font un univers décadent, qui ne semble en rien compenser l’horreur de l’incarcération.


Alors qu’on se prépare au pire dans une fable noire qui ne proposerait pas une once de rédemption, le film prend discrètement son envol : le regard décalé que pose le protagoniste sur le monde va permettre la mise en place d’un curieux cercle vertueux : Bubby ne juge pas, n’en ayant pas les capacités, et boit littéralement les paroles de ceux qu’il croise. Ces derniers, échantillons panoramique de l’humanité, commencent par aboyer, puis s’étonnent, et enfin écoutent l’illuminé.
Car c’est bien dans le rapport au langage que se joue toute la singularité du personnage : procédant par mimétisme, Bubby écoute, intègre et régurgite les répliques qu’on lui assène aux interlocuteurs suivants. Cet effet de décalage crée une partition en écho particulièrement bien écrite, et une circulation des idées, une recontextualisation de certaines saillies (comme Fuck God, par exemple) qui prennent un sens nouveau.


L’ascendant de Bubby devient dès lors une évidence : sorte de messie, à l’écoute permanente et dispensant de cryptiques aphorismes, il excellera dans les domaines où l’homme expérimente les limites du langage inféodé au sens : la musique, et la langue entravée des handicapés.
Parachuté sur une scène de concert, le personnage débite ses phrases entendues çà et là, à la manière de mantras prophétiques qui transforment le génial Nicholas Hope en une sorte de Nick Cave : cette scène, cathartique et puissante, est la plus belle du film, et annonce la métamorphose dans son éveil à l’humanité : prendre, redistribuer, susciter un enthousiasme, au sens étymologique du terme, à savoir un souffle divin.


Des abysses de la cruauté humaine à la rédemption par une modeste vie commune, Bad Boy Bubby remporte un pari de taille : nous émouvoir de ce qui est à la porté de tous. Car le miroir déformant de cet étrange chamane a permis une relecture salvatrice de ce qui fait de nous des hommes.

Sergent_Pepper
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le 17 avr. 2016

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Sergent_Pepper

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