« C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures », nous dit l'adage.
C'est un peu présomptueux, de décider ainsi de ce qu'est la « meilleur confiture », et du bocal le plus approprié pour la faire.
Dire « il est possible, dans les vieux pots, d'en faire une bonne (de confiture) » me paraît davantage incontestable, d'autant plus que le fermier de Bad Day for the Cut est un recycleur.


Le film en soi recycle aussi : tellement que j'étais persuadé de retrouver Blue Ruin; sur Wikipédia, dans la section filmographie de Chris Baugh. Blue Ruin c'est l'histoire d'un type un peu moyen bougre mais paisible, installé dans une routine un peu terne – légère stupeur des provinces industrielles ou bucoliques, anglophones, aux images un peu grises ou un peu bleues fades pâles blanches (le gris c'est pour la nature au crépuscule nautique, et le béton ; et le bleu un peu bleu fade pâle blanc, c'est pour ce ciel en crépuscule, crépuscule du matin et aurore du soir). Car Blue Ruin c'est l'histoire d'une renaissance, mais ça sent la fin.


Voilà pour Blue Ruin, sorti en 2013 (dont le réalisateur sortira plus tard Green Room un film assez jouissif qui défonce du Néonazi). *Bad Day for the Cut * c'est ça aussi. Une ambiance d'éveil, de plongée délibérée dans l'action et dans la violence, le choix d'agir. Et en même temps un sentiment de décrépitude annoncée, comme si nous assistions à la dernière bravoure.
C'est la dernière bravoure du vieux camping-car retapé, qui grince de partout mais que sa nouvelle peinture rouge lui donne la force de traverser une dernière fois l'Angleterre, aux trousses de la mafia polonaise, répandre la mort pour venger la mort.


C'est une histoire recyclée je disais, l'histoire du vieux pépouze à la Taken version ex paysan qui en a déjà autopsié des corps (de lapin cela dit), et qui soudainement sort de ses gonds dans une quête de justice en forme d'affaire personnelle. Retour à la civilisation.


Là où c'est rigolo, c'est que le paysan de *Bad Day for the Cut * est lui-même un recycleur, comme je disais. Il recycle un vieux camion en rouge, mais pas que. Le vieux tube de ketchup y passe aussi, vide dans lequel on met de l'eau pour exaucer un minimum en Shlurp! le goût de son dîner visqueux. La manière dont le paysan s'occupe de sa mère, la manière dont il se sacrifie pour rester près d'elle et la protéger en quelques sortes – la protéger de sa faible vieillesse – est (touchante bien entendue) mais aussi un peu comique (burlesco-héroïcomique, oxymorique !). Puisqu'on ne peut s'empêcher d'y voir la manière dont il caresse le vieux camion, et d'y voir la manière dont peut-être il tapera un peu, en ellipse, sur le compteur pour donner au véhicule le courage des derniers kilomètres. Pour la dernière côte. Pour que lui, le paysan sur le retour, et elle le vieux camion, ait encore l'occasion de défoncer un dernier petit salopard, à renfort d'une casserole brûlante de beans peut-être, en plein milieu d'un médianoche sur la plage arrière.


Ou plus, car virilité. Pour la catastrophe.

Vernon79
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le 20 avr. 2018

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Vernon79

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