Logan unlucky
Être un ancien escroc est un business en soi ; demandez donc à Jordan Belfort, "Le Loup de Wall Street" porté à l'écran par Martin Scorsese, ou même à Jérôme Kerviel, devenu auprès de certains une...
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le 3 août 2020
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Être un ancien escroc est un business en soi ; demandez donc à Jordan Belfort, "Le Loup de Wall Street" porté à l'écran par Martin Scorsese, ou même à Jérôme Kerviel, devenu auprès de certains une figure de l'autonomisme breton ! Frank Tassone, lui, ne joue pas dans la même catégorie, s'étant tenu discret depuis sa sortie de prison en 2010. L'homme avait pourtant défrayé la chronique six ans plus tôt, suite aux révélations concernant son détournement de pas moins de onze millions de dollars de fonds scolaires entre 1990 et 2002. Puis l'affaire, somme toute bien mineure en comparaison des crimes de Bernard Madoff révélés au grand jour quelques années plus tard, était tombée dans un relatif oubli jusqu'à ce qu'HBO ne s'en empare pour son nouveau film mis en ligne sur sa plate-forme, Bad Education.
Le début est poussif, qui peine à introduire ses protagonistes autrement que comme des caricatures. Le brushing impeccable, la garde-robe soigneusement travaillée et le nez minutieusement épilé, Frank Tassone a tout du personnage campé par Greg Kinnear dans Little Miss Sunshine : la personnification de la culture de la gagne à tout prix. Cela ne semble pas trop mal lui réussir, puisque non seulement le bonhomme, ancien professeur d'anglais reconverti dans l'administration du lycée Roslyn (Long Island), est adoré par les élèves, leurs parents et l'ensemble de ses collègues, mais il a réussi à faire de son établissement l'un des plus en-vue de l'état, le tout sans jamais se départir de son sourire ultra-bright et de ses bons conseils prodigués avec générosité à des ados dont il apprend par cœur les noms et spécialisations. "Ton papelard n'est qu'un minable reportage que si tu dis qu'il en est un", encourage-t-il ainsi Rachel Bhargava, rédactrice au journal de l'école.
Ce conseil va cependant se retourner contre lui lorsque l'intéressée va découvrir que la comptabilité de Roslyn ne tourne pas rond : des sommes colossales sont dépensées chaque année auprès d'organismes bidons, pour des motifs tout aussi fumeux. Le pot-aux-roses est découvert "grâce" à la famille de demeurés de Pam Gluckin, collègue de Tassone, que ce dernier livre en pâture au conseil d'administration de l'école afin de sauver sa propre peau, au cours d'une séquence proprement fantastique. Mais la chute de Gluckin, maquillée en retraite anticipée, permet de révéler la gigantesque toile de mensonges tissée par Tassone, manipulateur hors-pair.
De fait, Bad Education jongle habilement entre l'enquête menée par Rachel et le portrait exhaustif de Tassone, pur produit d'une société obsédée par la réussite ou du moins les apparences de celle-ci. Le personnage de Jordan Belfort dans le film de Scorsese susmentionné, de même que Henry Hill dans Les Affranchis, est sciemment en marge d'un système qu'il exploite avec cynisme. Tassone et Gluckin ne réalisent même pas le mal qu'ils font ; tout ce qu'ils voient, c'est que leurs collègues gagnent plus qu'eux, ce qui leur fait dire "pourquoi eux et pas moi ?". Ce rapport permanent à l'autre est au cœur de Bad Education, dont le titre brillamment ambivalent (laissé en anglais pour éviter la confusion avec le film d'Almodovar, je suppose) pose la question du bien-fondé d'un système éducatif géré comme une entreprise cotée en bourse.
Le regard du réalisateur Cory Finley et de son scénariste Mike Makowsky (lui-même ancien élève de Roslyn) est cependant moins indulgent que celui de Scorsese, tout en étant moins corrosif : de facture plus classique, Bad Education cherche à provoquer l'empathie mais pas la sympathie, comme en atteste la sous-intrigue tournant autour de la double-vie amoureuse de Tassone, formellement démentie par l'intéressé, ou encore apparemment un peu simplifié et embelli de Rachel. Ces libertés vis-à-vis de la véracité des faits ne nuisent cependant pas au film, d'autant qu'elles offrent encore plus de latitude aux acteurs, tous plus formidables les uns que les autres, à commencer par Hugh Jackman.
J'ai toujours un faible pour Jackman, récemment cimenté par mon marathon X-Men, dont il illuminait immanquablement les bons comme les mauvais opus. Mais ses quinze ans passés dans l'ombre du rôle iconique de Logan/Wolverine m'avaient presque fait oublier à quel point le charismatique Australien est un acteur versatile et complet. Or, je ne crois pas avoir encore vu meilleur étalage de tout son talent que Bad Education. J'ai un cour instant craint le contre-emploi bien ostentatoire à la Zac Efron en Ted Bundy, mais Jackman parvient à s'effacer complètement derrière le rôle, tout en y infusant le charme qui a fait sa renommée à et hors-écran... avant de basculer dans la menace la plus froide. Non pas que j'attache beaucoup d'importance à ce genre de récompenses, d'autant qu'on ne sait si elles auront lieu dans le contexte actuel, mais je vois bien l'ami Hugh concourir à l'oscar du meilleur acteur pour Bad Education !
Aucun de ses partenaires à l'écran n'a cependant à rougir vis-à-vis de lui : deux ans après sa prestation justement oscarisée dans I, Tonya, Allison Janney continue de prouver qu'elle est bien plus qu'une grosse voix et un physique atypique en faisant de Pam Gluckin, escroc au grand cœur, le deuxième pilier de Bad Education. La jeune Geraldine Viswanathan excelle en Rachel, héroïne malgré elle, de même que Ray Romano (Manny le mammouth de L'Âge de Glace !) et l'ensemble des membres de la direction de l'école. À noter également le toujours parfait Pat Healy en procureur.
Diffusé par HBO un an à peine après le scandale des frais d'admission d'enfants de stars dans des écoles américaines, Bad Education a cependant mieux à offrir, contrairement à Da 5 Bloods de Spike Lee, que son seul bon timing : c'est un regard intelligent et instructif sur un fait divers révélateur de notre rapport à l'éducation et au consumérisme, servi par des acteurs au sommet de leur forme, à commencer par Hugh Jackman, qui prouve qu'il n'est pas que l'homme d'un seul rôle !
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le 3 août 2020
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