Le Bad Lieutenant de Ferrara est une grosse référence pour moi : avec son montage effréné et ses scènes subversives, c'est un des films qui m'a ouvert les yeux sur l'existence d'un cinéma alternatif, centré sur autre chose que sur le scénario. Autant dire que quand j'ai su qu'un remake avec Nicolas Cage datant des merveilleuses années 2000, j'ai tout de suite pensé à la difficile expérience du massacre de l'excellent Dieu d'osier et me suis dit qu'il n'était pas nécessaire de souffrir comme ça une nouvelle fois. La perspective de retrouver le couple Cage/Mendes qui crevait l'écran dans le somptueux Ghost Rider ne plaidait pas non plus en faveur du film...
Ces préjugés, ont très vite disparu lorsque j'ai appris que L'escale à la Nouvelle Orleans n'était pas réellement un remake mais une variation, et qu'elle avait été réalisée par Werner Herzog. Autant dire que ça commençait a devenir intéressant. Même si je préfère largement ses documentaires à ses fictions que je trouve un peu mollassonnes, au vu des merveilles que Herzog a pu faire avec le jeu d'acteur baroque de Kinski, il devenait impératif de voir ce qu'il allait faire de celui de ce cher Nicolas Cage.
Je ne regrette aucunement de l'avoir regardé, Bad Lieutenant est un film incroyable, la descente aux enfers du personnage principal est stupéfiante, chacune de ses actions e détache un peu plus du monde réel, et peu a peu le film s'en écarte avec lui. En utilisant des angles de cameras, des filtres et de musiques étranges, Herzog nous emporte dans un film complètement hallucinant qui semble avoir été réalisé dans un univers parallèle, bien aidé par le jeu d'acteur à part de Cage qui signe clairement une de ses performances les plus marquantes dans ce somptueux rôle de monstre improbable de notre société, le policier drogué, sorte d'arroseur arrosé moderne.
Au delà de la descente au enfer effrénée et psychédélique qu'il nous offre, le film se finit sur un pied de nez qui est en même temps une de ses qualités principales. En proposant un happy end improbable et complètement forcé Herzog nous interroge sur deux points :
- Au sein du film : y a t'il eu miracle ou assiste t'on simplement a une hallucination du personnage principal ? Au vu de la situation dans laquelle notre cher lieutenant s'est empêtré, il est impossible de l'imaginer s'en sortir, on s'attend a une fin type Scarface ou Uncut Gems, mais les miracles se multiplient et TOUT FINIT BIEN. Tout finit un peu trop bien... Cette fin laisse une sensation douce amère et au vu des quantités de drogues ingérées par Cage l'hypothèse d'une simple hallucination rassurante du protagoniste est quasi-évidente.
- Au sein de l'histoire du cinéma : Pourquoi le Happy End est-il devenu la norme ? Comment le spectateur lambda s'est-il autant attaché à ce concept souvent tiré par les cheveux ? En créant un happy end impossible dans un film qui n'a rien des films à happy end, Herzog singe son utilisation bien souvent ridicules par le cinéma grand public et tout en nous rappelant la toute puissance du cinéma, il nous signale aussi sa capacité à nous bloquer dans un carcan limitant sa propre créativité.
La comparaison au film de Ferrara est inutile, les deux Bad Lieutenant sont deux variations sur un même concept, celui d'un homme que la vie pousse a renier tous ses principes, ces deux variations sont des oeuvres de qualités, magistrales dans leur style et dans lesquelles deux grands cinéastes expriment leur talent de manière admirable, c'est cool !