J’ai fait une ballade en nostalgie, un retour en arrière dans ces années 80 qui m’ont vu devenir adolescent, j’ai frissonné au son de Calling You comme au temps des premières amours, de la voix qui change, des regards sur les filles qui se font plus désirables quand elles deviennent plus désirées. Pour n’avoir jamais vu cette œuvre, elle provoquait pourtant en moi une série d’émotions inséparables d’une époque regrettée, de là à dire qu’hier je l’ai vu par « devoir de mémoire », il n’y aurait qu’un pas.

Le Bagdad Cafe, cette pension pour égarés de passage, en plein milieu du désert, non loin de Las Vegas, ce refuge pour âmes blessées est une sorte de « pension » hétéroclite qui voit se côtoyer une tatoueuse aux formes atomiques, une patronne irascible, affublée d’un fils fou de piano, d’une fille future croqueuse d’hommes, d’un mari rebelle, d’un pensionnaire aux bottes de cowboy et au bandeau d’Amérindien, sans oublier le serveur aux racines latinos et au regard de chien battu. Et au milieu débarque Jasmine, teutonne en perte de mari qui trouve ici le refuge physique et moral qui lui permettrait de s’écrire une nouvelle histoire. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Kusturica, j’ai cru retrouver ici le même joyeux foutoir qui règne bien souvent dans ses films, ce même optimisme sur la plus grande aptitude au bonheur que semblent avoir les gens simples. « Simple » n’ayant ici absolument rien de péjoratif. Jasmine va peu à peu amadouer tous les pensionnaires du Bagdad Cafe, le faisant passer d’un lieu de désolation au temple de la réjouissance.

Au diapason, le film de Percy Adlon fait tout pour provoquer le sourire sincère à partir d’une histoire ponctuée d’humour, d’incongruités parfois loin de tout réalisme, de personnages attachants et marquants. La chanson de Jevetta Steele venant parachever superbement un film déjà fabuleux, elle est un hymne à la joie, tirant toutes les émotions possibles de ces âmes qui se cherchent et des nôtres, un hurlement mélangeant joie, nostalgie et douleur. Si elle est pleine de douceur, c’est néanmoins de la douceur amère.

Les personnages et les acteurs qui les incarnent ne me quitteront plus, gravés pour très longtemps dans mes souvenirs. Jasmine devant tous les autres, Jasmine aux splendides mamelles appelant le désir, de ces mamelles sur lesquelles on rêve de dormir au chaud le restant de ses jours. Jasmine si pleine de la force teutonne et de la fragilité de l’étrangère. Jasmine affichant son accent comme d’autres un grain de beauté. Jasmine face à Brenda, la propriétaire qui passe son temps à hurler sur son petit monde, Brenda qui a baissé les bras et se laisse vivre au soleil, endormie dans son fauteuil en osier comme son café qui ne voit que si peu de clients. Jasmine face à Rudi, cowboy sur le retour, sorte de grand visage émacié, taillé au couteau qui inquiète autant qu’il séduit. Rudi qui finit par séduire Jasmine jusqu’à cette formidable dernière scène de la demande en mariage, qui clôt le film sur la meilleure réplique possible.

Je suis une petite chose sensible c’est vrai, mais quel bonheur lors des retrouvailles finales. On ne nous explique pas comment elles ont été possibles mais peu importe, l’essentiel étant que ces deux femmes, devenues essentielles l’une à l’autre, expriment tout le bonheur de se prendre dans les bras. Cette scène m’a ému aux larmes et j’en suis ravi. L’efficacité, la qualité d’un film et de son histoire se reconnaissent finalement aux émotions qu’il provoque et de ce point de vue, Bagdad Cafe est absolument redoutable.
Jambalaya
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le 28 mai 2014

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