Baikonur est un film adorable et naïf, dont je suis tombé fou amoureux. Un film dont je ne savais rien, absolument rien. Seule la pochette du Blu-Ray avait éveillé ma curiosité. Moi qui suis un amoureux des fusées et fasciné par l'exploration spatiale, j'ai été conquis, subjugué par le charme, l'imagination et la poésie de ce film qui place l'astronautique en son cœur et fait de l'art de la romance son carburant naturel.
Samuel Fuller avait raison de dire que pour faire un bon film il faut une bonne histoire à raconter. Et c'est une des qualités de Baikonur que de nous offrir justement une histoire somptueuse, digne d'un vrai conte, alliant simplicité, grâce et sensibilité. C'est un film lumineux et poétique, où transparaît un amour authentique pour les grands rêves cosmiques et les enjeux spatiaux. Voilà ce qui m'a réellement enthousiasmé : cette immersion enivrante, passionnelle, exubérante, dans l'insondable mystère inhérent au désir d'exploration et de conquête spatiale.
Omniprésente et palpable, elle est loin de servir de simple décor en carton-pâte à une merveilleuse, improbable et surréaliste histoire d'amour. Car Baikonur EST un hymne à la conquête spatiale, un véritable chant d'amour dédié aux rêves d'exploration que l'humanité porte en elle. À l'instar de ces images introductives et bien réelles du vol historique de Youri Gagarine, héros de tout un peuple et premier homme à voyager dans l'espace. Elles sont émouvantes, parce qu'elles renvoient aux premiers temps de la conquête spatiale et s'inscrivent inconsciemment dans une filiation quasi religieuse. Toute la sacralité des missions spatiales apparaît dans ces images granuleuses et jaunies par la patine du temps, portées par le poids de leur symbole et de leur histoire. À l'aune du passé glorieux qu'il incarne, Gagarine pourrait être vu ainsi comme le messie à travers lequel la nouvelle et jeune génération, tournée vers les défis futurs, se reconnaît et s'identifie.
Et ce n'est certainement pas un hasard si notre jeune héros est flanqué du surnom de Gagarine. Ce jeune paysan Kazakh, interprété par un Alexander Asochakov au naturel désarçonnant, est un passionné d'astronautique. Il s’est bricolé une petite radio dans sa yourte pour espionner les trajectoires des fusées Soyouz, afin de pouvoir en récupérer les débris pour les revendre. La venue de l'industrie astronautique a quelque peu bousculé les habitudes de cette paisible province du Kazakhstan. Mais la vie y est toujours aussi rude. Et les quelques morceaux de ferraille récoltés offrent une bien maigre pitance, assurent juste de quoi survivre.
Ce mélange étonnant d'archaïsme, de tradition et de modernité m'a particulièrement frappé et se présente sous le sceau d'un mariage heureux aux accents pittoresques. Ainsi la compétition entre tribus mongoles chevauchant les plaines du Kazakhstan en moto, tracteur, side-car, ou à dos de chameau et de mule (!), pour se disputer les lambeaux de fusée tombés du ciel, offre un tableau insolite et saisissant de l'impitoyable et rudimentaire vie qu’elles mènent. Il y a du Kusturica dans ces peintures colorées des tribus Kazakhs, de leur mode de vie, et de leur rapport au monde. Et la musique de Goran Bregovic en accentue encore un peu plus les similitudes, en apportant sa douceur et sa mélancolie typiquement slave.
Bien sûr, j'entends ici et là quelques voix dissonantes se plaindre que Marie de Villepin, fille de l'ancien premier ministre, peut, par moment, agacer avec ses airs parfois hautains de Diva de l’espace, d'icône inaccessible. Je peux en convenir. De même, certaines invraisemblances semblent offusquer certains critiques, qui oublient un peu vite qu'une œuvre d'art, Dieu merci, ne se calque pas sur la réalité, mais s'en arrange, la transforme, l'idéalise dans des proportions parfois surprenantes. L'essentiel est qu'elles s'intègrent naturellement, parfaitement, dans le récit, sans y apparaître de façon abrupte, comme un cheveu sur la soupe. Et le fait est qu'elles n'altèrent en rien la ligne générale du film, l'atmosphère poétique qui fait basculer cette histoire d'amour vers la fable baroque.
Mais tout de même, quelle folie et quel culot d'imaginer pouvoir empêcher le décollage d'une fusée Soyouz avec de la merde de chameau ! Il fallait sacrément oser !
Voilà toute la magie de Baikonur, avec sa part de merveilleux, d'irrationalité, de poésie et d'humour. Baïkonour, cité phare de la conquête spatiale, haut lieu stratégique longtemps tenu secret, révèle une part de son intimité et se dévoile pudiquement sous nos yeux. C'est une cité fantomatique, émaillée de symboles, de monuments, entièrement dédiés à ce qui a fait son histoire, ponctuée de moments glorieux et d'accidents tragiques. Voilà peut être, à bien y penser, l'une des plus belles qualités de ce film : avoir mis en scène et valorisé l'une des plus emblématiques et célèbres cités de l'espace, et lui rendre ainsi un hommage digne de l'épopée spatiale qu'elle incarne.
Kermite.