Bain de Mousse (alias Bubble Bath pour sa sortie chez Extralucid) est une petite pépite qui représente un peu mieux que tout autre ce que j'aime voir dans l'animation.
Une qualité principale de l'animation en tant que médium, est qu'elle peut se détacher du réel. Bien évidemment ça se concrétise en dessins ou modèles, mais l'animation c'est le mouvement. A une époque où Disney repousse les limites du réalisme, que ce soit avec leurs modèles (Le Roi Lion) ou bien toute la captation de l'image comme c'est le cas dans Soul, je vous propose de repartir en Hongrie dans le années 70-80 pour voir quelque chose de complètement opposé.
Et je pense qu'il est pertinent de mentionner le pays d'origine. Bien que ça ne semble pas évident aujourd'hui, la Hongrie (et Pannonia Film Studio) fut des années 60 à début 90 l'un des grands acteurs de l'animation dans le monde. Dans un premier temps uniquement avec des courts métrages et à partir de 1973 (grâce à Jean le Vaillant de Marcell Jankovics) des longs de même. C'est là-bas que voit le jour une part non négligeable de l'animation mondiale (il y a deux fois plus de long métrage chez Pannonia que chez Disney sur la période 70-90), avec beaucoup d'expérimentations stylistiques et techniques (principalement dans le courts métrages). C'est aussi le cas avec les voisins tchécoslovaque et Svankmajer entre autres.
En plus de ce contexte d'ébullition créative qui se retrouve tout à fait dans Habfurdo, il faut noter un fort désir d'expression, l'animation hongroise étant pas mal critique envers la société de l'époque, la situation politique et le régime autoritaire (soviétique). Dans Bubble Bath avec son futur marié abandonnant presque sa future épouse pour sa meilleure amie, nous avons des questionnements sur le couple (la passion, la projection dans le futur) plutôt moderne, le concept de couple ayant pas mal évolué au cours du vingtième siècle (en particulier dans les années 70, décennie de la création du film). Et ce sont des questionnements qui ne sont pas tellement posés au cinéma, le couple apparaissant généralement comme une simple conséquence de l'amour et son traitement s'arrêtant à l'opposition marriage forcé - mariage d'amour.
Ce questionnement saute particulièrement aux yeux avec quelques moments documentaires, un bout d'émission télé rotoscopé et des entretiens avec des enfants et futur/jeune mère animés. On peut un petit peu passer à côté, diverti par la forme hallucinante du long métrage et le fait que l'évident d'aujourd'hui ne l'était pas à l'époque.
Pour en venir enfin à l'animation, Bain de Mousse nous la défend parfaitement en se refusant de s'arrêter à l'utile et au nécessaire. Dans un premier avec le principe même d'animer cette histoire. Le sujet du film n'a jamais besoin d'animation, elle est gratuite. Bien entendu, elle apporte au visionnage, nous permet de ressentir le désir de liberté et la libération des mœurs à cette époque, mais cette animation ne répond pas à un besoin technique, ou une étude de marché.
Cette notion de gratuité se retrouve aussi dans l'animation elle-même, que ce soit par les procédés utilisés (des gouttes d'eau sur l'image, de la distortion, des éblouissements, ombres, animation en peinture, collage, des flashs de l'image, etc.) ou le style. C'est généreux, on a toujours un élément en mouvement dans l'image (parfois même des mouvements complexes), on peut passer de l'art déco au cubisme juste l'espace d'un instant (Kovasnai venant du monde de la peinture, il s'amuse beaucoup), et le film fait toujours plus preuve d'inventivité dans son interprétation du réel. Il s'autorise tout.
Ca donne une impression de jazz, de légèreté, une improvisation constante et stimulante qui peut nous amener partout, qui nous rend impossible d'anticiper la prochaine image. On est là bien loin des horloges ultra-précises qui nous délivrent 24 fois la réalité par seconde.
Je me permet d'expliciter que cette liberté de l'animation est quelque chose qui se trouve plus spécifiquement dans les mouvements des personnages, qui accompagnent leurs paroles, leurs pensées, sentiments et la musique. Ils ne sont pas des modèles, ils sont des traits que l'on peut définir de mille manières différentes. Allongé, déformés par une perspective absurde, employant d'une scène à l'autre des codes de retranscription des mouvements tout à fait différents, c'est là l'exceptionnel du métrage, ce qui le rend remarquable dans l'histoire de l'animation.
Mais Bain de Mousse n'est pas simplement un défouloir visuel permettant aux animateurs hongrois de Pannonia d'exprimer leur talent dans un format long.
Il faut noter en effet que György Kovásznai donne une grande importance au son et à la musique dans son œuvre. Ca se voit particulièrement dans Hullámhosszok (alias Wavelenght) dans lequel il anime des extraits de radio qu'il semble avoir pris au pif.
Le film est en faite un savant mélange entre son histoire, son animation et sa partition originale, aucun des trois ne prend véritablement le pas sur les autres. On a parfois (ou plutôt constamment) l'un qui prend la main momentanément, laissant plus ou moins de place aux deux restants, mais bien que ce soit son visuel qui fasse du film une exception, on ne peut pas vraiment dire que ce visuel écrase le reste.
D'autant plus que la musique est un autre grand atout de Bain de Mousse, on a le droit à des merveilleuses scènes de comédie musicale dans lesquelles la force moteur peut autant être graphique que sonore, que les deux ensembles, à égalité.
A l'image de ses images, Kovásznai varie les genres musicaux enchainant des chansons de différentes styles, mais toujours très entrainantes. Il faut d'ailleurs ajouter que cette musique est antérieur au visuel dans le processus de création, ça ne se remarque pas seulement par lors de passages chantés, mais aussi lors de moments plus calmes où le récit et l'animation obéissent au son. Ces moments plus calme sont le marqueur de l'ambition du réalisateur décrivant son film comme « une comédie musicale animée, synchronisée aux battements du cœur ». On suit alors une sorte de courbe d'électro-cardiogramme où les pics et les creux s'enchaînent variant le rythme du film et la folie qui s'en dégage.
Pour conclure, j'aime beaucoup Bain de Mousse, c'est un film révolutionnaire en ce qui concerne l'animation de personnage, il n'est pas le premier à s'éloigner du réel et n'est particulièrement connu, mais j'ai du mal à ne pas l'imaginer directement ou indirectement sur le chemin de certains artistes d'aujourd'hui comme Masaaki Yuasa ou de manière générale l'animation japonaise qui ose un peu s'éloigner d'une conception fixe des personnages. Soyons heureux que cette petite perle ait été restaurée récemment et ait fait l'object d'une distribution (physique) en France cette année.