De la Iglesia n'est pas un gland. Il le prouve dès les premières minutes totalement surréalistes de son "Balada Triste de Trompeta". Irruption d'un groupe armé dans un cirque rempli d'enfants pendant que deux clowns font le spectacle. Dialogue improbable entre les clowns et le chef nationaliste, photo sobre et superbe, acteurs en roue libre. Scène suivante, l'équipe du cirque se retrouve armée et prête au combat. Encore une paire de répliques drôles, et la charge est lancée. Un vrai morceau de bravoure servi par des ralentis et autres effets modernes très réussis. "C'est parti pour 1h40 de bon délires stylisés avec un point de vue décalé mais pertinent sur la Guerra Civil", me dis-je. A tort ?
Car qui peut le (pré)pluce peut le moins ! Prenez donc un peu du "Prestige" de Nolan pour le bras de fer en crescendo des deux protagonistes se disputant une seule et même femme. Ajoutez-y un soupçon d' "Inglorious Basterds" du bon vieux Quentin pour la violence omniprésente et le côté hautement décalé malgré un contexte réel (ici la guerre civile et le régime franquiste qui s'ensuit), mélangez en distillant de l'action, de la violence en surenchère, des situations de plus en plus invraisemblables jusqu'à un final foutraque décevant (mis à part le tout dernier plan, génial), et un maximum d'ellipses histoire, au choix:
1. pour le spectateur, de compliquer inutilement une histoire qui aurait simplement mérité un peu plus d'attention. En effet, les premiers passages "avance rapide" sont facilement décelables et on comprend où le réalisateur veut nous emmener. Mais par la suite, plusieurs micro-ellipses tendent à hacher la progression, n'apportant rien, et enlevant même de la consistance, du liant, à une oeuvre qui n'avait pas forcément besoin de cela.
2. pour le réalisateur, de masquer un certain nombre de failles dans l'écriture des personnages. Je pense notamment [SPOILER]à la descente aux enfers de Javier, qui au lieu d'être progressive (ce qui aurait peut-être ralenti le rythme effréné de l'édifice, mais aurait rendu l'histoire "crédible", toutes proportions gardées bien évidemment), survient en un claquement de doigts, de manière abrupte et incompréhensible.[/SPOILER]. Le film aurait donc gagné à être un peu plus long, histoire d'avoir une véritable évolution des personnages.
Par ailleurs, l'Histoire d'Espagne est plus effleurée qu'autre chose, à ce niveau j'espérais un minimum de rigueur, ou un certain nombre d'aspects en tout cas, justifiant le fait d'avoir situé les évènements en 1937 puis 1973. Car en l'état, l'étonnement du début laisse vite place à l'indifférence face à une situation qui n'est pas vraiment expliquée ni exploitée. Quid des "Terror Rojo/Terror Blanco", de l'exil républicain, des conséquences économiques désastreuses de la "Guerra Civil Española", etc... ?
Mais tout n'est pas à jeter, loin s'en faut. "Balada Triste", c'est aussi et avant tout une distribution qui fait du très bon boulot, que ce soit Carlos Areces, Antonio de la Torre en duo de clowns, tous deux effrayants et excessifs, Carolina Bang hyper sensuelle et sexuelle adepte du Ruban Rouge (pas celui de Dragon Ball...), et même le caverneux Santiago Segura qui nous gratifie de quelques-unes des meilleures scènes du film, bien loin du Torrente, bedonnant ex-flic maladroit qu'il incarne par ailleurs (le 5 est en préparation, avis aux amateurs). C'est aussi une belle mise en scène, un montage cadencé, limite cut façon Tony Scott par moments, des plans travaillés esthétiquement, et une musique qui se fond étonnamment bien dans l'oeuvre, par un savant numéro d'équilibriste vu certains choix de partition audacieux.
Amis coulrophobes (la coulrophobie n'est pas la peur des princesses de Savoie qui se prénomment Clotilde mais bien celle relative aux clowns), n'hésitez pas à tenter l'expérience "Balada Triste de Trompeta". D'une manière ou d'une autre, celle-ci ne vous laissera pas indifférent. Car tel un Kipling des grands jours, Alex de la Iglesia joue les acrobates et sur le fil, nous livre de la jongle.