Hideo Gosha réalise ici un drôle de mélange : une fresque historique se mariant au film de casse avec à l'arrière-plan une réflexion sur la place du bandit et du samouraï l'un par rapport à l'autre. Ainsi, ça s'éloigne pas mal des chambara crépusculaires auxquels ce réalisateur nous a habitué, par exemple, dans Goyokin et Hitokiri, avec leurs samouraïs déchus et leur code d'honneur vidé de son sens. On y retrouve plutôt nos standards du film policier, avec deux groupes antagonistes qui se défient, s'affrontent, dont les deux chefs finissent par se respecter, raison pour laquelle Bandit contre samouraïs a souvent été comparé à Heat, à tort ou à raison.
Le petit soucis, c'est que l'intrigue est relativement confuse (ce que n'arrange pas énormément une seconde vision), surtout dans ses 40 premières minutes, et ressemble en cela beaucoup aux Loups, avec une histoire dans laquelle on rentre sans avoir tous les éléments en main mais qui se construit petit à petit, au rythme des révélations des rôles de chacun. La première partie est dominée par l'affrontement entre bandits et samouraïs, dans un fort climat de violence et de sexualité, où la ruse des bandits, utilisant agents infiltrés, femmes fatales, et planques secrètes, met à l'amende les policiers. Les combats, impliquant des dizaines de guerriers, sont toujours aussi bien gérés par Gosha avec des petits geysers de sang généreux à la fin de chaque coup, et les femmes sont désormais plus dénudées que jamais, annonçant son intérêt nouveau pour celles-ci qui s'accentuera encore plus avec ses films sur les geishas.
Ce qui hisse selon moi le film dans la moyenne des bons films de Gosha, c'est l'expression de l'état d'âme du chef des bandits (j'adore la façon dont il est introduit, par la voix profonde de Tatsuya Nakadai), mis en valeur d'une part par un dialogue à la fin de la première partie du film qui met l'accent sur la condition des bandits et la fraternité qui les unit, et d'autre part le passé tragique qui le relie à son frère. Sans trop en dévoiler, nous apprenons qu'ils ont été accusés à tort dans une histoire de sous, et que les événements vont les lier de nouveau pour aboutir à un final flamboyant, avec pour enjeu principal de redonner un sens à leur existence. Ainsi, "Bandit" au singulier dans le titre est primordial, puisque de manière ultime, il s'agit de revenir à l'homme et ses sentiments derrière l'abstraction du groupe qui obéit à l'esprit du crime ou de la loi, et assez logiquement (pour Gosha), cette humanité est davantage présente du côté des bandits, qui obéissent avant tout à leur instinct plutôt qu'à un sens du devoir qui finit par être pourri et dénaturé par les dirigeants.
Justement, la thématique du bandit et du samouraï est bien exposée. Une séparation entre les deux groupes d'abord manichéenne, tranchée, présentant les bandits comme ceux qui sont du mauvais côté de la barrière, et les samouraïs, du bon côté. Mais au fur et à mesure que l'histoire progresse ce schéma s'enrichit, produisant ainsi un véritable courant d'empathie envers les bandits qui choisissent certes un chemin apparemment facile, mais qui seront toujours dans le giron de la surveillance des policiers. D'ailleurs, les bandits sont bien plus filmés que les samouraïs, signifiant la préférence évidente de Gosha pour le style de vie des hors-la-loi. L'un des gros points faibles du film, c'est peut-être d'ailleurs le manque d'approfondissement de ces policiers : le processus de l'enquête est nébuleux (ce qui n'est pas un défaut en soi : ce sont les personnages qui intéressent Gosha avant tout), et surtout, le seul combattant charismatique (hormis le responsable de l'enquête) de leur côté est à peine montré, puis éliminé assez rapidement, de belle manière tout de même. Enfin, du côté des bandits, deux détails m'ont frappé, que les bandits soient identifiés à des démons, et que la femme infiltrée a été comparée à une nymphe. Deux signes qui expriment bien quelle illusion les bandits déploient autour de leurs proies ou leurs poursuivants. Des illusions tempérées par le chef de l'enquête qui les ramène à un plan rationnel et humain, qui ainsi joue un rôle majeur par rapport à la représentation des bandits.
Esthète accompli, Gosha nous en met encore plein les yeux. Au service de son récit, il nous concocte de nombreux plans bien emballés qui font et défont l'image qui entoure les personnages (et ses gros plans sont toujours aussi maîtrisés), des séquences d'action plein d'énergie (même s'il nous a habitué à mieux dans le genre), et une dimension historique détaillée et épique. Les dialogues aussi ont leur importance, apportant un véritable supplément d'âme à ces bandits et policier au sein de ce torrent de violence, de sexe, et d'intrigues. Malgré la longueur excessive du film et une histoire pas toujours très claire, le rythme est quand même bien géré dans l'ensemble, grâce notamment à une bande-son entraînante (bien qu'un peu répétitive), ses nombreuses scènes d'action et de révélations, et surtout des personnages qui ne manquent pas de charisme. Pour conclure, Bandit contre samouraïs est un chambara/polar certes parfois difficile à comprendre dans ses tenants et aboutissements, mais qui félicitera les plus patients en offrant une dernière heure d'envergure, pleine de fureur et de larmes.