Un ex-camionneur japonais qui réalise un très bon film sur un pays d’Asie du Sud-Est profondément différent du sien ; voilà une situation qui peut sembler légèrement fantaisiste. Alors doit-on concevoir ce film comme une œuvre en manque de crédibilité ? Autant vous le dire tout de suite, la réponse est non. En témoigne Katsuya Tomita et son dernier film Bangkok Nites, réalisé en 2016 et présenté à la 69e édition du festival de Locarno.


Dès les premières images, c’est une histoire originale et marquante qui nous transporte. Dans une capitale en pleine ébullition et corrompue par l’argent, la prostitution bat son plein, en particulier dans la rue Thaniya où des centaines de Japonais viennent satisfaire leurs fantasmes. Luck, « number one » du réseau et prostituée très prisée, retrouve un ancien amant et client, Ozawa. Dans un dernier soubresaut amoureux, ils partent ensemble près de la frontière laotienne, là où vivent les proches de Luck.


C’est toute une contreculture que l’on découvre dans le long métrage. A l’aide d’un sens de l’esthétique époustouflant, Tomita orchestre son œuvre de manière à ce que l’immersion soit totale. Bien sûr, il y a la dimension politique et sociale puissante qui est prenante. Comment ne pas être marqué, voire indigné par le sort de ces femmes, considérées comme des objets et réduites à la précarité ? Comment ne pas être admiratif devant leur résistance pleine d’humanité face à un environnement néfaste où drogue et maladie dramatisent encore davantage un désir sexuel à sens unique ? Vous l’aurez compris, Bangkok Nites délivre un message fort.


Mais si cet aspect est essentiel, il ne constitue pas l’unique thème du film. Car il s’agit bien là d’une œuvre multiple qui se projette en deux temps. D’une part, l’étude de la prostitution urbaine et le climat oppressant de Bangkok. D’autre part, la vision d’une campagne poétique, mélancolique, où Ozawa se retrouve empêtré dans les liens familiaux qui lient Luck et sa famille. La relation entre une fille et sa mère absente, l’interrogation d’un jeune homme sur son avenir, la quête d’un idéal politique par une jeunesse désabusée ; autant de thèmes universels qui font de la création du réalisateur japonais une œuvre riche, accessible à tous. C’est enfin le fantôme du spectre colonial, de la guerre, qui semble planer sur ces personnages énigmatiques, solitaires et parfois tendres.


C’est ainsi un film indéniablement chargé que livre Tomita. Si la plupart des scènes semblent justifiées, il est vrai que la durée du film (183 minutes) nécessite potentiellement un certain effort. Mais c’est là un défaut mineur qui dépend bien évidemment de l’état du spectateur et de la condition dans laquelle il le visionne. Ce qui est certain en revanche, c’est que cela n’empêche pas Bangkok Nites de laisser une magnifique trace dans le paysage cinématographique sud asiatique.

ArnaudDuthilleul
7

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le 20 déc. 2017

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