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Une pépite venue tout droit d'Arabie Saoudite

Barakah meets barakah, une comédie romantique de plus ? Pas tout à fait car celle-ci se déroule en Arabie Saoudite et on se doute bien que la romance est forcément teintée par l'environnement particulier du pays.

Le ton adopté est celui de l'humour et de la légèreté, c'est certainement ce qui explique qu'il ait échappé à la censure saoudienne… Pourtant si l'humour est bien présent, la dénonciation du climat policier et des travers de la société saoudienne est sans concession. L'ironie est présente dès le commencement du film avec cet avertissement :

La pixellisation est voulue dans ce film. Ce n'est ni un commentaire, ni la censure nous insistons là-dessus ».

Au fil du film de gros pixels vont cacher le ventre de la jeune fille qui se fait tatouer, un doigt d'honneur, un verre d'alcool, etc. soulignant ainsi les domaines d'interdits et de répression du pays.

L'ironie continue avec cette séquence qui intervient également au début du film. On y voit un homme de la municipalité faire son petit discours idéologique aux employés :

Nous sommes la première municipalité à avoir créé le concept du nouveau fonctionnaire qui applique la théorie de la décentralisation.

Tandis que la mise en scène dément totalement cette affirmation, insistant par la disposition de ses éléments sur la réalité centralisatrice et totalitaire de l'Arabie Saoudite : les personnages sont placés dans un rond et positionnés eux-mêmes en cercle tandis qu'au centre de l'image se dresse un bâtiment également circulaire. Tout est centré dans ce plan et tout évoque le rond qui tourne sur lui-même et dont il n'est pas possible de s'échapper. D'ailleurs la voix off reprend ce thème à la fin du film :

Nous vivons dans une boucle, notre génération vit dans une boucle, nous n'arrivons pas à en sortir.

Ce film au ton léger nous raconte une idylle entre « Bibi » une jeune fille, célébrité d'instragram et « Barakha » un jeune employé de municipalité qui ne brille pas par son radicalisme et prend facilement de la distance vis-à-vis des directives policières municipales. Cette romance n'est pas le plus intéressant, elle nous touche assez peu. J'ai eu du mal à croire à cette « idylle » qui est peu construite, mais ce n'est finalement pas le centre de l'histoire. Car à travers ces deux personnages, c'est plutôt une description du quotidien étouffant et oppressant que ces jeunes ont à subir qui nous est faite.

Le film met également en lumière les lieux possibles d'expression. Pour Barakha, il y a le théâtre mais toutes les séquences qui s'y rapportent frôlent le ridicule… Les femmes n'étant pas autorisées à se produire sur une scène, c'est lui qui joue le rôle d'Ophélie dans la pièce de Hamlet. Et quand la représentation aura lieu ce sera devant des chaises vides… Quant à Bibi, elle a un champ d'expression plus large puisqu'il s'agit d'Instragram. Mais là aussi, la liberté n'est pas totale puisque Bibi n'est pas autorisée à montrer son visage. Cependant c'est par cette porte ouverte sur l'extérieur qu'une parole plus libre est possible. L'un et l'autre souffrent : Barakha parce qu'il a conscience des limites de la troupe de théâtre et Bibi parce qu'elle a conscience de l'illusion de tous ces « fans » et de l'instrumentalisation qui en est faite autour d'elle en vue de produire du revenu.

Là où le message se fait plus incisif et moins léger, c'est au moment des séquences photos commentées en voix off. Elles montrent l'Arabie saoudite d'avant quand les gens avaient le droit à une vie culturelle, que les femmes s'habillaient librement et pouvaient faire des études, que les hommes pouvaient pratiquer le sport, et les photos de ce temps heureux alternent avec l'Arabie Saoudite d'aujourd'hui montrant le basculement opéré par le pays.

Cette petite pépite saoudienne mérite d'être visionnée, on peut la trouver sur Netflix, il serait dommage de passer à côté. Ce film est le deuxième film saoudien officiel après Wadjda (2013). Il a représenté l'Arabie Saoudite aux Oscars de 2017.

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le 6 juin 2023

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abscondita

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