Barbe-Bleue
5.9
Barbe-Bleue

Film de Edgar G. Ulmer (1944)

Le rythme de Barbe Bleue est curieux : une exposition ultra-rapide pour ne pas dire expédiée, une résolution menée tambour battant et, au milieu du récit, des longueurs, qui sont peut-être des concessions à une forme de star-system naissant. Pour le coup, John Carradine est convaincant en homme fatal / beauté du diable ; quant à Jean Parker et Teala Loring, elles apportent au film ce qu’on demandait à la plupart des actrices de cinéma jusqu’à – mettons – l’arrivée de la Nouvelle vague, et qu’on leur demande toujours d’apporter à un certain nombre de productions actuelles : une beauté décorative.
Mais comme l’historien du cinéma qui sommeille plus ou moins profondément dans chaque cinéphile est friand d’anecdotes, impossible de passer sous silence le fait que ce film a été tourné en six jours ; et si un film se jugeait d’après le ratio entre durée du tournage et qualité du résultat, Barbe Bleue serait incontestablement un chef-d’œuvre. Pour le coup, en plus du jeu de John Carradine, j’ai bien aimé ce qui rend le film daté, notamment ce qu’il doit à l’expressionnisme : les quelques scènes en clair-obscur, « les assassins sont parmi vous » dans les premières minutes – merci, Fritz ! –, les roulements d’yeux pour ne pas montrer la violence – merci, Béla ! –, la fiction exhibée par le biais de la représentation de marionnettes. C’est bien fait, maîtrisé, les plans sont travaillés, il y a un travail de réalisation qui fait sens, et la photographie est réussie, ce qui reste la moindre des choses quand on parle de cinéma, de même qu’on demandera à un écrivain de respecter la grammaire.
Après, d’un point de vue scénaristique, c’est plutôt faible : intrigue cousue de fil blanc, naïveté incroyable des personnages féminins, perspicacité toute relative de l’inspecteur, cupidité épaisse du marchand d’art… S’agissant finalement d’un film policier, peut-être ce Barbe Bleue aurait-il mérité davantage de réalisme. Davantage de silences, aussi : soixante-dix minutes de musique pour soixante-dix minutes de film, ça finit par être éprouvant. Et puis on a beau parler de cinéma poétique – à cet endroit-là, prononcer le nom de Jean Cocteau avec l’accent américain –, Paris a ici beaucoup du cliché, avec son carton-pâte, ses fonds de décor en toile peinte, ses noms très franchouillards et sa référence à Manet alors que l’action est censée se passer au début du XIXe siècle.
À part ça, sur la foi du résumé, je m’attendais à une relecture du mythe de Faust ; en réalité ça ne saute pas aux yeux, ou alors c’est plus compliqué que ça.

Alcofribas
6
Écrit par

Créée

le 17 janv. 2017

Critique lue 341 fois

1 j'aime

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 341 fois

1

D'autres avis sur Barbe-Bleue

Barbe-Bleue
BatteMan
5

L'affaire du siècle ?

C'est sans doute ce que la PRC a du se dire en finançant avec un lance-pierre Ulmer pour adapter Barbe Bleue sur grand écran. Du coup, on voit à l'écran le manque de moyens, mais tout ce qui ne peut...

le 15 déc. 2016

1 j'aime

Barbe-Bleue
Boubakar
3

Barbe bleue voit rouge.

Edgar G. Ulmer est un peu le roi des films à petit budget ; il a souvent travaillé avec les studios PRC, qui étaient les plus pauvres d'Hollywood mais la petitesse des budgets fait que Ulmer a...

le 6 févr. 2012

1 j'aime

Barbe-Bleue
estonius
9

On a frôlé le chef d'œuvre !

On a frôlé le chef d'œuvre, mais hélas la scène de témoignage avec la scène de la prostituée (obligatoirement vulgaire et nunuche ?) est ratée. Alors effectivement si on regarde ça comme un polar,...

le 21 août 2019

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 11 nov. 2021

21 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

20 j'aime