Le rythme de Barbe Bleue est curieux : une exposition ultra-rapide pour ne pas dire expédiée, une résolution menée tambour battant et, au milieu du récit, des longueurs, qui sont peut-être des concessions à une forme de star-system naissant. Pour le coup, John Carradine est convaincant en homme fatal / beauté du diable ; quant à Jean Parker et Teala Loring, elles apportent au film ce qu’on demandait à la plupart des actrices de cinéma jusqu’à – mettons – l’arrivée de la Nouvelle vague, et qu’on leur demande toujours d’apporter à un certain nombre de productions actuelles : une beauté décorative.
Mais comme l’historien du cinéma qui sommeille plus ou moins profondément dans chaque cinéphile est friand d’anecdotes, impossible de passer sous silence le fait que ce film a été tourné en six jours ; et si un film se jugeait d’après le ratio entre durée du tournage et qualité du résultat, Barbe Bleue serait incontestablement un chef-d’œuvre. Pour le coup, en plus du jeu de John Carradine, j’ai bien aimé ce qui rend le film daté, notamment ce qu’il doit à l’expressionnisme : les quelques scènes en clair-obscur, « les assassins sont parmi vous » dans les premières minutes – merci, Fritz ! –, les roulements d’yeux pour ne pas montrer la violence – merci, Béla ! –, la fiction exhibée par le biais de la représentation de marionnettes. C’est bien fait, maîtrisé, les plans sont travaillés, il y a un travail de réalisation qui fait sens, et la photographie est réussie, ce qui reste la moindre des choses quand on parle de cinéma, de même qu’on demandera à un écrivain de respecter la grammaire.
Après, d’un point de vue scénaristique, c’est plutôt faible : intrigue cousue de fil blanc, naïveté incroyable des personnages féminins, perspicacité toute relative de l’inspecteur, cupidité épaisse du marchand d’art… S’agissant finalement d’un film policier, peut-être ce Barbe Bleue aurait-il mérité davantage de réalisme. Davantage de silences, aussi : soixante-dix minutes de musique pour soixante-dix minutes de film, ça finit par être éprouvant. Et puis on a beau parler de cinéma poétique – à cet endroit-là, prononcer le nom de Jean Cocteau avec l’accent américain –, Paris a ici beaucoup du cliché, avec son carton-pâte, ses fonds de décor en toile peinte, ses noms très franchouillards et sa référence à Manet alors que l’action est censée se passer au début du XIXe siècle.
À part ça, sur la foi du résumé, je m’attendais à une relecture du mythe de Faust ; en réalité ça ne saute pas aux yeux, ou alors c’est plus compliqué que ça.