Il n’y a probablement que les Américains, et leur sens inné des affaires, pour parvenir à ce point à nous vendre un double emballage : Barbie, qui inonde de sa promo la planète entière à l’aide du design très 1er degré de Mattel, se présente ainsi autant comme un blockbuster des familles pour l’été, qu’un film d’auteur : Greta Gerwig, secondée par Noah Baumbach à l’écriture, n’est pas là pour servir la soupe à une multinationale, ou, du moins, pas sans concessions.
Il faut donc un peu s’arranger avec toute la dimension retorse d’un projet à plusieurs facettes, qui s’ouvre sur un Logo Mattel annonçant clairement des velléités de franchise, avec cet habillage progressiste et « ouvert à la critique » qui permettrait d’investir le marché très lucratif de la pop culture, et in fine, booster les ventes de figurines. Lego n’avait pas procédé autrement, et s’en était très bien tiré, avec un dispositif relativement similaire, notamment dans une ouverture particulièrement cynique sur la dimension dystopique d’un univers pensé pour les enfants à la perfection douteuse.
La question des attentes est évidemment le risque majeur pris par le film : on peut assez rapidement se lasser de certains gags, de l’aspect cartoonesque (l’équipe dirigeante de Mattel est assez insupportable) de l’image et de la redondance d’une exposition un peu trop longue, avant une incursion dans le monde réel en forme de conte philosophique éventé. Les comédiens sont bons, le rythme est tenu, les caractérisations amusantes, mais on peine, dans le premier tiers, à discerner un fond ou une tonalité qui dépasserait la pub géante pour Mattel et la comédie gentillette de famille avec rupture entre maman et son adolescente ayant viré Goth Woke.
Mais patience : le retournement des univers, avec l’apprentissage par Ken du patriarcat, et sa revanche sur son rôle de laissé pour compte va permettre au tandem de scénaristes d’affuter ses couteaux. L’humour devient plus corrosif, plus absurde aussi (tout le délire autour des chevaux), et l’idée de proposer une pensée déconstruite en reconstruisant la dominance masculine occasionne de jolies trouvailles, qui seront encore plus inventives lorsqu’il s’agira de tendre les pièges dans lesquels tombent les hommes pour capter leur attention. De la même manière, la façon de traiter la guerre des sexes témoigne surtout d’une ouverture aux frustrations de chaque camp, dans un habile renversement qui fait des revendications féminines du monde réel celles d’hommes laissés pour compte dans celui des figurines. Le film devient une sorte d’étude anthropologique assez fun, d’autant plus plaisante que les audaces graphiques accompagnent savamment le crescendo, mélangeant parodie de comédie musicales ou d’affrontements épiques. En parallèle, la communication de Mattel sur l’histoire de sa poupée, l’inclusivité de ses modèles et surtout les ratés assez embarrassants est assez bien vue dans la mesure où elle accompagne cette réflexion sur la manière dont le marketing cherche, parfois avec la plus grande maladresse, à rester dans l’air du temps.
La morale, qu’on pouvait redouter, aura certes droit à ses passages discursifs obligés – mais là aussi, l’idée d’en faire un ressort scénaristique pour provoquer la disjonction cognitive des Barbie est assez malicieuse. Le fait qu’elle se fasse par paliers, des transgressions narratives aux discours méta pas si idiots, permet un surplomb et une réflexion sur le statut du personnage, son identité et sa perfectibilité.
On reste évidemment devant la grande machine d’un film à gros budget, où les stars se ridiculisent pour travailler un capital sympathie qu’elle enrichiront par le glamour retrouvé sur le tapis des avant-premières. Mais l’avoir fait avec intelligence, et dans une perspective progressiste sympathiquement insolente, est le signe d’un savoir faire qui mérite d’être salué.