Alors qu’il ne parvient pas à convaincre les studios de production de la rentabilité d’un grand film sur Napoléon, Stanley Kubrick adapte le peu connu roman Barry Lyndon pour réaliser un film de moindre envergure sur la même époque mais à l’aura culte avec les années. Parmi ses œuvres les plus appréciées, Barry Lyndon fut pour moi, et je préfère le dire dès ces premières lignes, une grande déception à bien des égards. C’est après avoir vu le film 2 fois, dont une au cinéma en VOST dans les meilleures conditions possibles, ainsi qu’après différentes recherches que je vous livre cette critique visant à vous expliquer autant qu’à moi-même les raisons de cette déception.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆
Oscarisé pour sa photographie, c’est bien le point positif que je reconnais le plus facilement à Barry Lyndon. Énormément de plans ont été composés comme des peintures de genre avec de larges cadres statiques d’une grande beauté sur des personnages quasiment immobiles, prenant des poses esthétiques ou se mouvant avec élégance, dans les grands décors naturels d’Angleterre et d’Irlande. De ce type de choix de réalisation découle bien évidemment de sérieux challenges de rythme que le film ne saura pas relever pour moi, mais il sera temps de le voir par la suite, si on se concentre sur la beauté des images, c’est très bien.
Les costumes et les accessoires ont également été récompensés par un oscar et c’est bien normal tant ils ont été très soignés pour être aussi authentiques qu’au service de la beauté incontestable du film. Ce n’est pas rien dans un film d’époque, l’un des genres les plus exigeants sur la question, et Barry Lyndon en est incontestablement l’une des œuvres les plus abouties. C’était un point attendu pour ce cinéaste si perfectionniste mais ça n’en reste pas moins là encore une très grande force visuelle et le fruit d’un travail ambitieux.
Quant à l’éclairage entièrement à la lumière naturelle et à la bougie, c’est sans doute un petit exploit technique avec l’usage de focales spéciales qui ont flirté avec les limites de l’époque. Pour être honnête, je ne vois pas vraiment ce que ça apporte de si exceptionnel au rendu final de l’image, de singulier je le vois bien mais la plus-value induite par cette technique je ne la trouve pas grandiose. Mais au moins ça donne une identité visuelle au film indéniable, donc même si ce n’est pas forcément un coup de cœur personnel, c’est une autre force de la réalisation et de l’esthétisme.
La sarabande d’Haendel est aussi magnifique qu’elle l’a toujours été et si sa répétition est un peu trop fréquente, elle reste une musique extra-ordinaire très mise en avant par le film. Par contre, de là à gagner un oscar pour ça également, il n’y a aucune composition purement originale dans cette OST, seulement des grands classiques repris telles quelles, là où un Orange Mécanique quelques années plus tôt prenait le pari audacieux de les reprendre largement, ça me gêne un peu. Mais je retiendrais surtout que la musique est grandiose et très efficacement utilisée au montage par moment.
La mise en scène d’une bataille est assez élaborée avec un plan séquence long et bien chorégraphié, un angle de vue opérant presque comme une vue par-dessus de l’épaule mais au cadrage très précis… mais la scène est assez courte et une autre bataille est filmée avec beaucoup plus de maladresse et de paresse. Guerre et paix, 8 ans plus tôt, avait placé la barre si haut avec plus de batailles, beaucoup plus longues, beaucoup plus riches et au moins au meilleur niveau de mise en scène et de photographie dont est capable Barry Lyndon sur seulement quelques minutes, qu’il est difficile au film de briller sur la question, la principale limite de sa réalisation qui n’en reste pas moins de très grande qualité. Mais ce film est donc si bien que ça ? Il ne faut juste pas aborder ce qu’il raconte.
SCENARIO / NARRATION : ★★☆☆☆☆☆☆☆☆
Il y a quelques idées amenées par le scénario que je peux trouver intéressantes, comme le fait que même une petite bataille oubliée de l’histoire reste une tragédie humaine, que les soldats sont majoritairement motivés par autre chose que le patriotisme, que noblesse et droiture ne vont pas toujours de paire… C’est dommage que la plupart du temps ce soit la voix-off qui le raconte essentiellement sans aucune subtilité et non pas le récit par lui-même, mais ça reste des thématiques intéressantes. J’en ai fini avec les points positifs concernant le scénario, j’en suis le premier désolé, passons désormais à ce qui me dérange le plus, donc quasiment tout.
Tout d’abord, je n’aime pas du tout l’écriture du personnage principal qui est très clairement le pilier du scénario, il m’est beaucoup trop antipathique par son orgueil et sa bêtise. Ses succès comme ses échecs me semblent plus être le fruit du hasard que celui de son comportement, pour un récit basé sur l’idée d’une ascension folle au pouvoir jusqu’à sa déchéance, l’échec est cuisant tant je trouve que la première comme le seconde phase manque de cohérence et d’impact émotionnel en ce que me concerne. L’acteur Ryan O'Neal joue de façon très insipide à mon sens et la seule scène de tout le film où j’ai trouvé son interprétation réussie, une scène de pleurs, est une scène qui apparemment fut la 50ème prise, il a fallu épuiser l’acteur pour en tirer quelque-chose, un peu laborieux tout de même.
Il est amusant de voir pas mal de scènes importantes du récit dépourvues du moindre dialogue, tu as une longue image dans laquelle il ne se passe quasiment rien et la voix off, extra-diégétique et donc également incohérente, qui t’explique du coup ce qu’il faut comprendre, pour moi aveu d’échec du réalisateur et scénariste ne parvenant pas à raconter par l’image. Le charme d’une approche minimaliste, d’une narration subtile et élaborée par l’image… s’effondre pour faire place à l’ennui et à la lourdeur du propos. La scène où Barry « séduit » lady Lyndon est le meilleur exemple, une longue scène où ils ne se disent rien, il la regarde, elle le regarde, il la regarde, elle le regarde, il la regarde, elle le regarde… et la voix-off dit qu’ils tombent amoureux, quel torrent d’émotions dit donc.
De toute façon, il n’y aura jamais dans tout le récit ou presque la moindre complicité ou marque d’affection réelle entre les deux personnages ! Immédiatement après cette scène de séduction, on va l’appeler comme ça, la voix-off nous explique que Barry va ignorer sa femme toute sa vie et que cette relation est aussi longue, plate et ennuyeuse que le film lui-même ! Ça valait bien le coup de faire une scène pseudo romantique ultra appuyée comme si c’était le coup de foudre le plus profond de l’histoire du cinéma ! Et ça, c’est un problème qui se retrouve fréquemment sur les 3 heures composant le film, d’ailleurs à mon deuxième visionnage il m’a été impossible de le voir d’une seule traite.
C’est sans doute un problème personnel, je ne doute pas que beaucoup y verront un coup de génie dans ce cynisme devant être interprété comme finalement critique douce et amère de l’humanité, mais je vous décris la scène comme je la vis moi. Comme tout le film repose sur ce type de scène, celle-ci étant souvent citée parmi les plus mémorables et appréciées du long-métrage, y compris par des réalisateurs de renom que je peux grandement apprécier, je pourrais faire le même commentaire pour beaucoup d’autres scènes. Mais il y a un autre problème fondamental que j’ai avec ce scénario et cette narration et qui se retrouve également de manière récurrente dans le film.
Le film ne surprend jamais, les personnages sont très simplement caractérisés et les rares fois où le film aurait pu être un peu imprévisible, c’est la voix-off qui spoilera le retournement de situation avant que le moindre suspens n’ait pu s’en dégager. La mission d’espionnage du chevalier est le meilleur exemple pour moi, le récit place Barry dans une position intelligente de dilemme où il doit espionner un compatriote en dissimulant son identité pour le compte d’un homme d’état influent. On a établi que le protagoniste faisait des choix d’abord et avant tout pour son propre intérêt mais le suspens pourrait résider dans ce qu’il estime être ses meilleurs chances de s’en sortir.
Il peut aussi bien considérer ses chances meilleures d’un côté comme de l’autre, il pourrait essayer de jouer sur les 2 tableaux, il pourrait avoir des phrases à double sens… Le concept est riche de potentiel, le choix de Kubrick est celui d’un récit incohérent, linéaire et simpliste : le personnage ne fait pas un choix par égoïsme mais par droiture (incohérence), sa réelle allégeance est immédiate et jamais sujette à variations (linéaire) et la voix-off explique tout même le plus évident (simpliste). Pour un film qui veut beaucoup jouer sur les trahisons, le double-jeu, les faux-semblants… c’est encore une fois un échec cuisant et je veux bien entendre que ce n’est pas ce que le film essaye de raconter, mais à la fin qu’est-ce qu’il essaie de raconter ?
CONCLUSION : ★★★★★☆☆☆☆☆
Si l’on excepte les qualités esthétiques indéniables du film, je suis en parfait désaccord avec ses choix narratifs et scénaristiques à quasiment tous les niveaux, à cause de son protagoniste pour lequel je ne ressens que de l’indifférence, de sa lente narration dépourvu de subtilité qui m’endort autant à la découverte qu’à l’analyse, de son intrigue simpliste ne me surprenant jamais… une série de problèmes majeurs pour un film aussi long. Barry Lyndon est devenu pour moi la preuve que certains récits grandement réputés seront sans effet sur moi à cause de certains partis pris et que la photographie et la musique, si réussies peuvent-elles être, ne se suffisent pas en elles-mêmes, surtout si le film est long. Je rejoins ainsi désolé mais sincère les rangs de ceux n’ayant pas compris le chef d’œuvre, in fine nous ne sommes pas tous égaux.