Alors qu’il ne parvient pas à convaincre les studios de production de la rentabilité d’un grand film sur Napoléon, Stanley Kubrick adapte le peu connu roman Barry Lyndon pour réaliser un film de moindre envergure sur la même époque mais à l’aura culte avec les années. Parmi ses œuvres les plus appréciées, Barry Lyndon fut pour moi, et je préfère le dire dès ces premières lignes, une grande déception à bien des égards. C’est après avoir vu le film 2 fois, dont une au cinéma en VOST dans les meilleures conditions possibles, ainsi qu’après différentes recherches que je vous livre cette critique visant à vous expliquer autant qu’à m’expliquer les raisons de cette déception. Pour structurer ça je ne vais pas me prendre la tête, d’abord de ce que j’ai aimé, puis ce que je n’ai pas aimé.
Oscarisé pour sa photographie, c’est bien le point positif que je reconnais le plus à Barry Lyndon sans aucun problème. Énormément de plans ont été composés comme des tableaux avec de larges cadres statiques d’une grande beauté sur des personnages quasiment immobiles, prenant des poses esthétiques ou se mouvant avec élégance, dans les grands décors naturels d’Angleterre et d’Irlande. De ce type de choix découle bien évidemment d’énormes problèmes de rythme, mais il sera temps de le voir par la suite. De plus, les costumes et accessoires ont également été récompensés par un oscar, c’est bien normal tant ils ont été très soignés et ce n’est pas rien dans un film d’époque.
Quant à l’éclairage entièrement à la lumière naturelle et à la bougie, c’est sans doute un petit exploit technique avec l’usage de focales spéciales qui ont flirté avec les limites de l’époque. Néanmoins, je ne vois pas vraiment ce que ça apporte de si exceptionnel au rendu final de l’image, de singulier je le vois bien mais la plus-value induite par cette technique je ne la trouve pas grandiose. Mais au moins ça donne une identité visuelle au film indéniable, donc même si ce n’est pas forcément un point positif pour moi, je vais tout de même le souligner dans les points positifs.
La sarabande d’Haendel est aussi magnifique qu’elle l’a toujours été et si sa répétition très fréquente est pour moi abusée, elle reste une musique extra-ordinaire très mise en avant par le film. Par contre, de là à gagner un oscar pour ça également, il n’y a aucune composition purement originale dans cette OST, seulement des grands classiques repris telles quelles, là où un Orange Mécanique quelques années plus tôt prenait le pari audacieux de les reprendre largement, ça me gêne un peu. Mais nous sommes dans les points positifs donc je retiendrais surtout que la musique est grandiose et très efficacement utilisé au montage par moment.
La mise en scène d’une bataille est assez élaborée avec un plan séquence long et bien chorégraphié, un angle de vue opérant presque comme une vue par-dessus de l’épaule mais au cadrage très précis… mais la scène est assez courte et une autre bataille est filmée avec beaucoup plus de maladresse et de paresse. Guerre et paix, 8 ans plus tôt, avait placé la barre si haut avec plus de batailles, beaucoup plus longues, beaucoup plus riches et au moins au meilleur niveau de mise en scène et de photographie dont est capable Barry Lyndon sur seulement quelques minutes, qu’il est difficile au film de briller sur la question. Mais il y a tellement peu de points positifs dans mon appréciation que je vais retenir la mise en scène de la bataille comme un point fort.
Il y a quelques idées amenées par le scénario qui sont assez sympas, comme le fait que même une petite bataille oubliée de l’histoire reste une tragédie humaine, que les soldats sont majoritairement motivés par autre chose que le patriotisme, que noblesse et droiture ne vont pas toujours de paire… C’est dommage que la plupart du temps ce soit la voix-off qui le raconte essentiellement et non pas le récit par lui-même, mais ça reste des thématiques intéressantes. J’en ai fini avec les points positifs qui comme vous le voyez ne sont pas bien nombreux in fine, d’autant qu’ils sont souvent nuancés, j’en suis le premier désolé, passons désormais à ce qui me dérange le plus.
Tout d’abord, je n’aime pas du tout l’écriture du personnage principal qui est très clairement le pilier du scénario, il m’est beaucoup trop antipathique par son orgueil et sa bêtise. Ses succès comme ses échecs me semblent plus être le fruit du hasard que celui de son comportement, pour un récit basé sur l’idée d’une ascension folle au pouvoir jusqu’à sa déchéance, l’échec est cuisant tant je trouve que la première comme le seconde phase manque de cohérence et d’impact émotionnel en ce que me concerne. L’acteur Ryan O'Neal joue de façon très insipide à mon sens et la seule scène de tout le film où j’ai trouvé son interprétation réussie, une scène de pleurs, est une scène qui apparemment fut la 50ème prise, il a fallu épuiser l’acteur pour en tirer quelque-chose, un peu laborieux tout de même.
Il est amusant de voir pas mal de scènes importantes du récit dépourvues du moindre dialogue, tu as une longue image dans laquelle il ne se passe quasiment rien et la voix off, extra-diégétique et donc également incohérente, qui t’explique du coup ce qu’il faut comprendre, pour moi aveu d’échec du réalisateur et scénariste ne parvenant pas à raconter par l’image. Le charme d’une approche minimaliste, d’une narration subtile et élaborée par l’image… s’effondre pour faire place à l’ennui et à la lourdeur du propos. La scène où Barry « séduit » lady Lyndon est le meilleur exemple, une longue scène où ils ne se disent rien, il la regarde, elle le regarde, il la regarde, elle le regarde, il la regarde, elle le regarde… et la voix-off dit qu’ils tombent amoureux, quel torrent d’émotions dit donc.
De toute façon, il n’y aura jamais dans tout le récit ou presque la moindre complicité ou marque d’affection réelle entre les deux personnages ! Immédiatement après cette scène de séduction, on va l’appeler comme ça, la voix-off nous explique que Barry va ignorer sa femme toute sa vie et que cette relation est aussi longue, plate et ennuyeuse que le film lui-même ! Ça valait bien le coup de faire une scène pseudo romantique ultra appuyée comme si c’était le coup de foudre le plus profond de l’histoire du cinéma ! Et ça, c’est un problème qui se retrouve fréquemment sur les 3 heures composant le film, d’ailleurs à mon deuxième visionnage il m’a été impossible de le voir d’une seule traite.
C’est sans doute un problème personnel, je ne doute pas que beaucoup y verront un coup de génie dans ce cynisme devant être interprété comme finalement critique douce et amère de l’humanité, mais je vous décris la scène comme je la vis moi. Comme tout le film repose sur ce type de scène, celle-ci étant souvent citée parmi les plus mémorables et appréciées du long-métrage, y compris par des réalisateurs de renom que je peux grandement apprécier, je pourrais faire le même commentaire pour beaucoup d’autres scènes. Mais il y a un autre problème fondamental que j’ai avec ce scénario et cette narration et qui se retrouve également de manière récurrente dans le film.
Le film ne surprend jamais, les personnages sont très simplement caractérisés et les rares fois où le film aurait pu être un peu imprévisible, c’est la voix-off qui spoilera le retournement de situation avant que le moindre suspens n’ait pu s’en dégager. La mission d’espionnage du chevalier est le meilleur exemple pour moi, le récit place Barry dans une position intelligente de dilemme où il doit espionner un compatriote en dissimulant son identité pour le compte d’un homme d’état influent. On a établi que le protagoniste faisait des choix d’abord et avant tout pour son propre intérêt mais le suspens pourrait résider dans ce qu’il estime être ses meilleurs chances de s’en sortir.
Il peut aussi bien considérer ses chances meilleures d’un côté comme de l’autre, il pourrait essayer de jouer sur les 2 tableaux, il pourrait avoir des phrases à double sens… Le concept est riche de potentiel, le choix de Kubrick est celui d’un récit incohérent, linéaire et simpliste : le personnage ne fait pas un choix par égoïsme mais par droiture (incohérence), sa réelle allégeance est immédiate et jamais sujette à variations (linéaire) et la voix-off explique tout même le plus évident (simpliste). Pour un film qui veut beaucoup jouer sur les trahisons, le double-jeu, les faux-semblants… c’est encore une fois un échec cuisant et je veux bien entendre que ce n’est pas ce que le film essaye de faire, mais à la fin qu’est-ce qu’il essaie de faire ?
Si l’on excepte les qualités esthétiques indéniables du film, je suis en parfait désaccord avec ses choix narratifs et scénaristiques à quasiment tous les niveaux, à cause de son protagoniste pour lequel je ne ressens que de l’indifférence, de sa lente narration dépourvu de subtilité qui m’endort autant à la découverte qu’à l’analyse, de son intrigue simpliste ne me surprenant jamais… une série de problèmes majeurs pour un film aussi long. Barry Lyndon est devenu pour moi la preuve que certains récits grandement réputés seront sans effet sur moi à cause de certains partis pris et que la photographie et la musique, si réussies peuvent-elles être, ne se suffisent pas en elles-mêmes, surtout si le film est long. Je rejoins ainsi désolé mais sincère les rangs de ceux n’ayant pas compris le chef d’œuvre, in fine nous ne sommes pas tous égaux.