Suite au succès de Batman Returns au cinéma, la Warner n'avait pas de quoi se plaindre. Bien qu'ayant largement renfloué les caisses , le second volet de la franchise a cependant laissé les investisseurs sur leur faim. Tout aussi génial puisse-t-il être, Burton se sera approprié le matériau original pour le plier à ses exigences personnelles et livrer un diptyque noir et gothique qui ne fut pas du goût de tout le monde. Les ligues parentales en particulier, se sont plaint de la noirceur et de l'esthétique du dernier opus qui fut pourtant vendu comme un film tout public. On raconte d'ailleurs que certains parents auraient quittés les salles de cinéma avec leur progéniture, furieux d'avoir été bernés par la promotion du film. Du coup, le succès du film de Burton ne réussit pas à écouler les tonnes de produits dérivés (t-shirts, figurines) qui revinrent finalement dans les cartons de la Warner. Le studio, confronté à une problématique de marketing, repensa alors sa franchise. Car le seul succès au box-office n'était plus suffisant à l'envergure d'une telle franchise, il fallait aussi rentabiliser sur les produits dérivés.


Bien qu'il fut longtemps question de ré-engager Burton (à condition qu'il en ait eu l'envie), la Warner décida de lui retirer le poste de réalisateur, les goûts artistiques du gonze ne correspondant décidemment pas aux desideratas du studio pour leur franchise la plus lucrative. Ils ne lui confièrent que le titre honorifique de producteur exécutif sur ce troisième opus, bien que Burton n'intervint jamais sur aucune phase du processus de production, accaparé qu'il était par la réalisation de son magnifique Ed Wood pour un autre studio.


Pour commencer, la Warner confia la réalisation de ce nouvel opus à un habitué de leur studio, Joel Schumacher (Génération perdue, Chute libre, Le Client). Ce choix parut à l'époque tout à fait pertinent tant il suffisait de revoir certains films de Schumacher pour se persuader qu'il était le candidat idéal. En effet, on voyait bien le réalisateur de L'Expérience interdite appliquer la même esthétique baroque et crépusculaire à ce nouveau Batman.


La seconde phase du processus de pré-production de ce nouvel opus fut de loin la plus déterminante pour le studio. A savoir que Batman Forever n'a été pensé que comme un produit apte à générer en plus des recettes, quantités de produits dérivés. La Warner se rappelant des invendus de Batman Returns, eut alors la fructueuse idée d'un partenariat pour faire grimper les ventes de leurs figurines, t-shirts et cassettes. Et qui mieux que la chaîne McDo et ses Happy meals pour conditionner les achats futurs de millions de têtes blondes ?


Je me souviens encore de la Batmania de l'époque, tout en couleurs criardes à l'effigie des personnages du film. Cette nouvelle approche esthétique de l'univers du Caped Crusader n'eut pourtant rien d'alarmante. Jusqu'à ce que le film sorte...
Je l'ai vu à l'occasion d'une sortie MJC. J'étais déjà un fan assidu de Batman dont je devais la découverte au diptyque de Burton, diptyque qui aura largement conditionné ma conception du personnage et de son univers. A savoir que Batman était un justicier solitaire et implacable, évoluant dans un univers entre film noir et gothique exacerbé. Ses ennemis étaient des gangsters aux faciès grotesques et inquiétants, des créatures pathétiques portant de manière ostentatoire leur singularité criminelle. Qui plus est, je découvrais en 92 le somptueux dessin-animé de Bruce Timm, dont l'esthétique dark-déco si singulière et la dramaturgie travaillée ne prenait jamais le (jeune) public pour un idiot décérébré.
A l'inverse de ce troisième film.


Autant dire que la touche Schumacher aura anéanti tous mes espoirs de retrouver une quelconque continuité dans ce troisième opus. Non pas qu'il soit un mauvais réalisateur mais il n'a clairement jamais eu la moindre ambition pour le super-héros. En tant que simple tâcheron, Schumacher se contente d'y apposer sa vision bariolée sur un scénario d'une rare indigence dont le seul mérite est d'explorer superficiellement le traumatisme initial de Bruce Wayne. Il faut d'ailleurs voir la manière qu'à Schumacher de filmer magnifiquement les funérailles des parents du héros dans un flash-back dont la tonalité crépusculaire aurait mérité d'être appliquée à tout le film (et tant pis pour les ligues parentales). Impossible évidemment à l'aune de la volonté de la Warner d'ouvrir le personnage au public enfantin sans contrarier un seul parent dans les salles (car ce sont eux qui ont le porte-monnaie).


Dès lors, on ne verra rien du jet d'acide ayant défiguré Harvey Dent, une scène d'une grande puissance dramatique (il suffit de lire le comic Un long Halloween pour s'en convaincre) ici reléguée à un insipide flash-back info. Batman se confronte dès l'ouverture à un Two-faces de pacotille, expurgé de la moindre trace de dualité. Tommy Lee Jones a beau être un grand acteur, il n'a visiblement rien compris à son personnage et n'a aucunement l'intention de le jouer autrement que comme un bouffon rigolard et stupide. Harvey Dent devient alors un ersatz pathétique du Joker, dont le double faciès parfaitement symétrique (conçu par Rick Baker) porte en lui tout le surréalisme pailleté de ce troisième opus. Jim Carrey, à l'époque nouvelle valeur montante après les cartons successifs de Ace Ventura et The Mask, cabotine à outrance, se perdant en mimiques, en crises de rire et en monologues inutiles. Le Dark Knight, si tant est qu'on puisse encore l'appeler ainsi, est cette fois interprété par l'ancienne vedette Val Kilmer, que l'on a connu plus concerné dans d'autres rôles. Michael Keaton aurait refusé d'endosser la cape une troisième fois arguant qu'il trouvait le scénario totalement nul (quelqu'un de lucide) et ce malgré un cachet non négligeable de 15 millions de dollars que lui offrait alors la Warner. Le studio quant à lui, expliquera le remplacement de l'acteur sur le prétexte qu'il demandait un cachet plus important. Toujours est-il que bon nombre de fans furent soulagés à l'époque de ne plus retrouver Michael Keaton dans le costume, tant son interprétation de Bruce Wayne s'éloignait du personnage original (le choix de Burton de lui confier le rôle avait été largement critiqué y compris par Bob Kane, co-créateur du personnage. Un peu à la manière de Ben Affleck aujourd'hui). Pourtant s'il n'avait pas vraiment le physique adéquat, Keaton apportait au moins un certain contraste à son double-rôle, chose que l'on ne retrouve pas dans le jeu figé de Val Kilmer qui joue Bruce et Batman de la même façon. Face à lui, Nicole Kidman, à l'époque Mme Cruise, joue une psychiatre nymphomane de bien piètre intérêt. Quant à l'ajout délicat du personnage de Dick Grayson, the first Robin (que beaucoup détestaient et détestent toujours), personnage blasphématoire selon moi tant il contredit la solitude inhérente au Caped Crusader (mais bon, j'avoue qu'il est parfois sympa dans le comic), Schumacher ne fait preuve d'aucune subtilité narrative et en fait une métaphore adolescente simpliste, en parfait accord avec le peu d'ambition narrative de son film.


Bref, on a l'impression que le casting entier découvre le comic et les personnages à travers leurs rôles. Je me souviens avoir lu à l'époque quelques rumeurs relatant les mauvais rapports entre un Tommy Lee Jones qui rabaissait constamment le caquet de Jim Carrey sur le tournage et sur la possible altercation entre le sanguin Val Kilmer et Joel Schumacher. Peut-être de l'intox, en tout cas Val Kilmer n'a pas rempilé par la suite malgré le cachet important qu'on lui proposait.


Il faut également revenir sur l'homosexualité de Schumacher qui pose comme seul problème de transparaître vulgairement dans le film jusqu'à insister lourdement sur les formes et les tétons des costumes de Batman et Robin (?). A posteriori, Schumacher avait peut-être pour seule ambition de faire de Batman et Robin des icônes gays, ce que ne viendra pas contredire le quatrième opus.


Certes, le film n'est pas dépourvu de qualités. La plus remarquable est d'avoir légèrement étoffé le personnage de Bruce Wayne jusqu'à le rendre un rien plus fidèle à celui du comic. Un Bruce Wayne hanté par la mort de ses parents et le traumatisme d'une chauve-souris géante fonçant sur lui. Qui plus est, sans que la règle d'or ne soit mentionnée une seule fois, Batman ne tue plus (et Double Face ne doit sa mort qu'à sa propre stupidité) contrairement à celui du diptyque burtonien qui ne s'embarrassait pas de détails. On trouvera dès lors la version de Schumacher bien plus respectueuse que celle de Burton. Et pourtant, même si Burton n'a gardé que quelques éléments de la mythologie originale, il aura su conservé l'essence-même du personnage, sa solitude intrinsèque, et sa tentation vengeresse qui était le propos principal du premier film.


Batman Forever se déroule dans la continuité des films de Burton puisqu'on nous présente un héros plus fidèle à l'image du personnage du comic, hanté par le deuil de ses parents et des images d'une enfance solitaire, un Bruce Wayne assagi qui essaie de convaincre son jeune protégé de ne pas céder à la vengeance car il sait qu'elle ne mène à rien (le meurtre du Joker dans le premier film ne l'a en rien soulagé). Cependant, cela aurait mérité des adversaires en parfait accord avec l'évolution morale du héros, ce qui n'est pas le cas, le Sphinx et Double Face n'étant que des prétextes narratifs, deux stéréotypes dont l'association en milieu de film simplifie opportunément le scénario. Le scénariste Akiva Goldsman en fait le minimum et, dénué de tout imagination, opte facilement pour une intrigue passe-partout. C'est ainsi qu'il use allègrement d'un épouvantable macguffin (la machine de Nigma) pour articuler ses enjeux. L'association de méchants révèle alors l'inanité de l'intrigue, Schumacher ne sachant plus que faire de ces deux-là, se contente de les filmer dans une succession de séquences inutiles, apte à décrocher quelques rires par le cabotinage excessif de Tommy Lee Jones et Jim Carrey. Il est alors intéressant de comparer ce duo de méchants à celui formé par le Pingouin et Catwoman dans le précédent opus, deux antagonistes qui révélaient très vite leurs inimitiés et leurs rancoeurs. Une complexité de caractères que l'on ne retrouvera évidemment jamais ici.


D'un point de vue formel, on peut aussi trouver des qualités à cette nouvelle approche esthétique de l'univers de Batman. Ainsi, ces images saturées de couleurs tendent à donner au film une identité visuelle propre. Le problème est que cette approche visuelle est à mon sens, totalement incompatible avec le personnage. Bien sûr, on pourra prétexter le succès de la série bien naze des années 60, mais franchement est-ce un bon exemple ?


Le jeu des acteurs, le traitement scénaristique, l'esthétique criarde, tout tend à prouver que les concepteurs du film n'ont jamais rien compris à l'ampleur dramatique du personnage et de son univers. Tout le monde semble s'en foutre et Batman Forever apparaît alors comme un produit aseptisé et totalement désincarné. Le film peut alors se refermer sur une chanson de U2 qui en dit suffisamment à elle-seule.


Imaginez-vous alors le ressenti d'un gosse, véritable fan de la première heure, confronté à la destruction méticuleuse de son héros. D'autant que ses camarades de sortie avaient à l'époque beaucoup apprécié le film (ils avaient également adorés Highlander 3 ceci dit) et ils n'étaient pas les seuls. Batman Forever fut un grand succès public et même critique, certains y voyant encore jusqu'à ce jour un film bien plus réussi que ceux de Burton (mais comment peut-on préférer une daube pareille à un chef d'oeuvre comme Batman Returns, c'est juste par provocation ou quoi ?). En comparaison, la série animée pourtant adressée à des enfants est infiniment plus intelligente et respectueuse de l'oeuvre originale et de son public. Je ne compris jamais un tel engouement et me réjouis presque d'avoir eu raison avec le bide cinglant que fut Batman et Robin trois ans après. Tandis que les autres jeunes de mon âge se moquaient allègrement du personnage, devenu la risée de tous évidemment, je préférais retourner à mes premiers amours burtonniens, revivre la noirceur schizophrène de Bruce, Selina et Oswald et admirer le charisme carnassier de Jack Nicholson. D'autant que c'est à peu près à l'époque du marasme cinématographique de la franchise que je découvrais parallèlement le renouveau des éditions en kiosque du super-héros dans les bureaux de presse. Mes toutes premières BD Batman/Punisher et la maxi-série en quatre volumes A long Halloween me confortèrent alors dans l'opinion que j'avais de cet univers. Côté cinéma, je prenais mon mal en patience, souhaitant en secret que mon super-héros préféré renaissent un jour de ses cendres. En 2005, après sept longues années d'attente, je pus enfin retrouver le Dark Knight tel qu'il devait toujours être. Et dans une salle à moitié pleine, je remerciais du fond du coeur un certain Christopher Nolan.

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le 14 sept. 2016

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Buddy_Noone

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