C'est un projet très ancien auquel s'attaque Zack Snyder en 2016, un fantasme de geek. Faire s'affronter les deux monstres iconiques de DC Comics, l'Homme d'Acier Superman contre la Chauve-Souris de Gotham, Batman. Les faire s'affronter, dans le cadre d'un film qui doit lancer le DC Cinematic Universe, et introduire la Justice League, futur concurrent des *Avengers* de Marvel et Disney.
Si l'on ajoute au fait qu'un combat entre ces deux super-héros fait forcément référence dans la tête des puristes au Dark Knight Returns de Frank Miller, un des comic book les plus respectés au monde, on peut sans trop s'avancer dire que c'est le projet le plus ambitieux auquel Snyder se frotte depuis Watchmen. Et depuis le début, il est attendu le couteau entre les dents. D'abord, le monde des internets s'est enflammé à l'annonce du cast de Ben Affleck dans le rôle de Bruce Wayne/Batman. Un choix qui, depuis, a fait l'unanimité : Affleck est excellent, pas de bol pour les rageux qui aiment haïr avant même la sortie des films. Puis, venue les premières bande-annonces, le design du méchant Doomsday fit polémique (à raison, il est très laid). Enfin, à la sortie du film, la critique a été assez dure, et le film se coltine depuis une sale réputation.
Il est vrai qu'à sa sortie en salle, on a eu le droit à la « Warner's Cut », à la version des studios, au montage affreux : résultat, on y comprenait pas grand-chose et le film faisait mal à la tête. Ici, on va donc se concentrer sur la director's cut de Snyder (ou ultimate cut, ou extended cut, appelez-la comme vous voulez), parce que ce qui va nous intéresser c'est la vision de Snyder. Ensuite, parce que cette version là répare quasiment tous les défauts de la version charcutée sortie au cinéma. Et il ne s'agira pas de critiquer ici la stratégie actuelle de la Warner : sortir une version découpée par des idiots, pour ensuite sur-vendre la version DVD/Blu-Ray avec la montage « extended ». C'est tout simplement à vomir...
Reste que ce film dans sa version longue est un chef-d’œuvre dans son genre. Loin des Marvel bas-de-plafond et de leur recette éculée dite du « un combat, une vanne », ce film veut faire réfléchir tout en divertissant. Snyder nous montre ici un combat de titans, entre un Homme qui voudrait être un Dieu (Batman), et un Dieu qui voudrait être un Homme (Superman). Délaissant le Superman très boy-scout de Man of Steel, qui conduisait à en faire un Jésus strictement américain un peu nauséabond, Snyder donne dans Batman v. Superman à l'Homme de Crypton une dimension messianique bien plus intéressante, car internationale et universelle. De par sa volonté de sauver tout le monde tout le temps, le Clark Kent de 2016 devient un dieu omniprésent, un Big Brother interventionniste, donc au-dessus des lois. Deux plans caractérisent cette évolution. Le premier, un Superman entouré d'une foule peinturlurée avec des crânes, qui fait vraiment foule primitive vénérant une Divinité (alors qu'il s'agit en fait d'une foule de Mexicains remerciant Superman d'avoir sauvé les leurs lors du Jour des Morts). Le second, moins subtile, présente un Superman plus biblique que jamais, au-dessus d'une ville inondée sous un « Déluge ». Un Clark Kent tiraillé par sa double identité, que son interprète Henry Cavill joue tout en nuances.
Face à lui, un Batman vieillissant, désabusé, incarnant l'Amérique traumatisée du 11 septembre, dont la quête de justice s'est depuis longtemps métamorphosée en stricte soif de vengeance. Un Bruce Wayne sombre au possible, campé par un impeccable et implacable Ben Affleck, donc.
Autour d'eux, une intrigue politique : un jeune Lex Luthor terrifié et fasciné par ses nouveaux Dieux et qui cherchent à les faire s'auto-détruire. Une Amérique divisée par cettte existence tangible d'un Dieu qui menace ses intérêts. Un monde qui n'oublie pas les conséquences des actes de Superman dans Man of Steel : son combat personnel contre Zorg ayant failli rayer Métropolis de la carte. Un propos sur l'interventionniste assez paradoxal quand on sait que Snyder a défendu l'intervention en Irak, son film 300 en étant même une métaphore assez crade. Enfin, d'autres Dieux : Wonderwoman et les autres, introduits de manière certes un peu artificielle, cahier des charges oblige.
Il faut défendre à tout prix ce film. Et qu'on ne me parle pas des défauts de ce film (oui le combat final est moche et presque de trop, oui le « Martha gate » est quelque peu justifié), Marvel fait mille fois pire depuis huit ans et on ne trouve rien à y redire. Ce film est beau, est réalisé par un type que je n'aime pas, mais qui a un talent visuel et esthétique indéniable (les couleurs, les ralentis et ce sublime générique de début, magnifié par la splendide composition de Hans Zimmer et Junkie XXL). Ce film a compris que la figure super-héroïque est un sujet politique et philosophique fertile, et pas juste un prétexte à l'action bourrine (ce dont le film ne manque pas, par ailleurs). Ce film est ambitieux, d'aucun diront trop, et donc par conséquence il est imparfait. Mais il ne nous prend pas, nous spectateurs, pour des cons. Ce n'est pas un Ant-Man ou un Doctor Strange.
S'il faut tirer des leçons de ce Batman v. Superman, les voici :
1) Snyder est le meilleur réalisateur de films de super-héros avec Sam Raimi et Christopher Nolan.
2) La Warner doit sortir de son hypocrisie : si elle veut vraiment faire confiance à ses réalisateurs, qu'elle leur laisse le final cut.
3) Ne pas défendre ce film, c'est ouvrir la voie à la Marvelisation de DC, et à une uniformisation éternelle du paysage du divertissement à gros budget. A terme, toutes les sagas sont marvelisables. Pitié, tout mais pas ça !