« Le plus grand combat de gladiateurs de l’histoire: Le fils de Krypton, contre le Bat’ de Gotham« . Il ne fallait pas plus que cette punchline, un peu racoleuse quand elle est utilisée dans la promo, percutante lorsqu’elle trouve sa place et son contexte dans le film, pour créer d’énormes attentes autour du dernier né de Zack Snyder. Le mastodonte de DC Comics, puisqu’on parle d’un film au budget colossal de 250 millions de dollars, voit s’affronter sur l’écran deux des plus grandes icônes de la pop culture, mais aussi de l’histoire américaine. Cependant, le duel ne se joue pas uniquement entre Batman et Superman, il se joue aussi en dehors des salles de cinéma entre Zack Snyder et la critique, qui a pris la mauvaise habitude de se montrer particulière virulente avec le réalisateur américain. Pourtant, Batman v Superman, s’il a des défauts que l’on ne peut évidemment pas nier, mais potentiellement expliquer, se démarque par une force de caractère peu commune dans le genre très récent du film super-héroïque, mais aussi par une véritable et courageuse prise de position par rapport à ses deux héros. Oui, Batman v Superman: L’Aube de la Justice est un film audacieux qui a sacrément de la gueule.
Parce que c’est un point qu’il semble nécessaire d’aborder, sachez que le film a été amputé de trente minutes, qui seront néanmoins disponibles dans une version Director’s Cut d’ici quelques mois au moment de la sortie en Bluray/DVD. Une décision qui a été prise pour des raisons évidemment économiques, puisque le film aurait alors atteint les trois heures, entraînant une réduction de son nombre de séances maximum par jour, mais aussi car il a écopé d’une sanction sévère de la part de la MPAA, le fameux Rated-R (NDLR: ce qui revient, habituellement, à une interdiction aux moins de 12 ans chez nous). Dans ces conditions, Zack Snyder n’avait pas d’autre choix que de trancher dans son montage, afin de le rendre accessible à tous les publics et de ramener sa durée à 2h30. Le constat est rude, mais il faut l’admettre: La version disponible actuellement en salles est une version incomplète, inachevée sur plusieurs points, malade. Trente minutes c’est énorme, et c’est ce qui manque au film pour résoudre le flou narratif qui touche l’ensemble de sa première partie, confuse dans ce qu’elle cherche à raconter, et quoi doit pourtant dessiner trois gros enjeux: Faire une suite à Man of Steel, introduire Batman et développer le conflit entre les deux héros, et préparer le terrain pour la future Justice League.
On y retrouve pourtant d’énormes fulgurances, à l’image de la double introduction, qui revient avec force sur la mort tristement célèbre des parents de Bruce Wayne, dans un style très proche de la remarquable séquence d’ouverture de Sucker Punch, avec une composition grave du duo Hans Zimmer/Junkie XL qui berce des ralentis somptueux et donne immédiatement le ton, pour ensuite offrir au dernier acte de Man of Steel ce qui lui manquait, à savoir un point de vue à échelle humaine sur les conséquences désastreuses de celui-ci. Ainsi les deux films se répondent à merveille, et placent Superman dans une nouvelle position de doute: Après s’être révélé à celle-ci, voilà qu’il doit rendre des comptes à l’humanité, qui se questionne sur sa toute puissance qu’elle ne peut pas contrôler. C’est le cœur de la première partie du film, mais c’est aussi le cœur du conflit naissant entre lui et le Chevalier Noir, qui trouve en Ben Affleck toute l’intensité, la brutalité, et la noirceur que cette nouvelle peinture plus pessimiste et torturée du personnage requiert. Cette première partie de film laisse place également à tout le savoir faire de Snyder en terme d’icônisation et de mise en scène ultra-spectaculaire, qui se matérialise sous la forme d’une séquence de rêve post-apocalyptique filmée en plan-séquence, éloquente sur l’état d’esprit dans lequel se trouve Batman et sur la façon dont il perçoit Superman, ainsi qu’au travers d’une folle séquence d’action avec la Batmobile. Mais là où le bât blesse, c’est lorsque Snyder est contraint d’introduire le prochain film, à la manière d’un Avengers 2.
On n’ira pas jusqu’à dire que les scénettes qui servent à présenter les nouveaux personnages DC parasitent l’intrigue, mais elles ont du mal à trouver leur place dans celle-ci, déjà très (trop?) riche sur le plan thématique. Ainsi, Diana Prince, incarnée par une Gal Gadot très à l’aise dans un rôle taillé pour elle, est ironiquement effacée jusqu’à l’entrée en scène remarquable, spectaculaire, badass et déjà culte de Wonder Woman (ce theme !), le personnage le plus prometteur et intriguant du DC Universe, alors que sa présence aurait du prendre le pas sur celle de Lois Lane, beaucoup trop présente par rapport au rôle mineure, et mal écrit, qu’elle tient au cœur du film. Quant au reste de la future équipe en composition, pour ne pas spoiler, on dira simplement qu’elle est présentée de la façon la moins organique possible, qui témoigne des problèmes de montage dont le film souffre dans cette version cinéma. A noter également un manque cruel de développement sur ce qui se dégage comme l’une des meilleures idées du film, qui réfléchit sur les liens forts que les deux héros partagent envers leurs mères respectives, mais beaucoup trop tard pour espérer atteindre l’intensité dramatique et percutante qui découlait de l’arc narratif sur la double figure paternelle de Man of Steel.
Malgré ses faiblesses, que l’on espère voir disparaître dans la version longue que l’on nous promet depuis quelques semaines, Batman v Superman développe un paquet d’idées remarquables, quoi qu’en disent les mauvaises langues. Cela commence avec Jesse Eisenberg, dont la prestation ne peut que diviser, mais qui s’approprie habilement le personnage de Lex Luthor pour en faire une dérive du Joker. L’acteur ne sort pas réellement de sa zone de confort, et n’incarne pas une menace au niveau du général Zod (un méchant tellement sous-estimé), mais tout le background et les idées qui gravitent autour de son personnage, y compris ses motivations, donnent du piquant au récit. D’un autre côté, c’est tout l’affrontement entre Batman et Superman qui fait preuve d’audace, puisqu’au lieu de verser dans l’action physique, brutale, et écervelée, leur conflit se joue principalement sur une portée idéologique qui repousse constamment l’explosion fatidique, pour s’exprimer au travers des thèmes du film, qui se rapprochent d’ailleurs grandement de ceux de Watchmen, l’oeuvre majeure de Snyder. La suite logique de Man of Steel, thématiquement parlant, est de s’intéresser aux rapports qu’entretiennent les hommes face à la figure divine qu’est Superman, en étoffant la symbolique religieuse qui accompagne le personnage. De là à le comparer au Dr Manhattan, il n’y a qu’un pas que l’on pourrait aisément franchir. Quant à Batman, il apporte avec lui la problématique de la place du héros dans la société, et des valeurs qu’il doit défendre et respecter. A noter que la représentation de Batman ici n’est pas celle à laquelle on nous a habitué, mais celle, radicalement opposée et moins répandue, de Frank Miller dans laquelle Batman est désabusé, ultra-violent, et n’hésite pas à se faire juge, juré et bourreau. Une figure militarisée que Snyder ne reprend pas à la lettre (notamment sur le rapport aux armes), s’offrant le luxe de le réadapter à sa façon. La réflexion est évidemment intéressante, et traitée avec beaucoup de pertinence, si tant est que l’on adhère à cette vision là du Chevalier Noir. Là encore, si comparaison avec Watchmen il devait y avoir, l’analogie avec Rorschach aurait du sens. Plus que jamais chez Snyder, qui incarne la plupart du temps ses films avec cette thématique, la figure et la notion de super-héroïsme sont mises à mal, nuancées, noircies. C’est une malédiction, un fardeau, un sacrifice.
Mais là où le film démontre sa plus grande force, c’est lorsqu’il se laisse finalement aller à la générosité visuelle et technique caractéristiques du cinéma de Zack Snyder, qui prouve une nouvelle fois la fermeté de sa mise en scène frontale, d’une lisibilité réjouissante. Si le dernier acte, qui suit l’affrontement court, mais jubilatoire, entre les deux héros a des airs de passage forcé, et se casse les dents sur l’introduction de Doomsday, Snyder peut y exprimer tout l’amour qu’il porte à ses personnages, et en particulier à Wonder Woman. Si l’étendue de ses pouvoirs n’y est pas totalement montrée, l’Amazone vient carrément voler la vedette aux deux protagonistes du titre dans une démonstration de force et de charisme qui résonne encore dans mon cœur et dans mon esprit au moment où je tape ces lignes. Pas de doute, Diana Prince a sa place sur grand écran et on ne peut que se réjouir à l’idée de la retrouver l’année prochaine dans son film solo. Ce dernier acte pourtant, aussi généreux soit-il en effets visuels, va bien au-delà du simple étalage pompeux de money shot et ose, c’est le mot, un coup de théâtre retentissant en guise de conclusion, inattendu mais cohérent avec tout ce que développe le film. Une conclusion finalement assez représentative du film, qui tente de nombreuses choses, parfois avec beaucoup de maladresses, mais qui a le courage de faire des choix et de les assumer. N’enterrons pas Zack Snyder, c’est l’homme de la situation et la meilleure chose qui soit arrivée aux Comic Book Movies.