Ah, ce bon vieux Ridley Scott. Il est loin maintenant le temps où tout le monde s’accordait à le couvrir de louanges sur son travail. Aujourd’hui, Scott est devenu un réalisateur qui divise. Et pour être totalement honnête avec vous, j’ai toujours été du côté de ceux qui admirent son travail. L’exemple le plus récent étant Prometheus, un formidable morceau de SF qui témoigne d’une direction artistique et esthétique hallucinantes. Puis il y a eu la mort de son frère, le regretté Tony Scott. Une tragédie suivie de près par Cartel, un thriller ultra-bavard pas franchement convaincant et un peu trop détaché de son scénario. En voyant ce film, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que son échec était du à ce triste événement, et aujourd’hui encore, j’en reste persuadé. C’est donc sans être réellement convaincu, en partie à cause des bandes-annonces pas très vendeuses, que je suis allé découvrir Exodus: Gods and Kings, qui marque cependant le retour de Scott vers le péplum, un genre à qui il doit l’un de ses plus gros succès, et à juste titre, puisque il s’agit de l’immense Gladiator.
Première chose à aborder, et qui me paraît inévitable, c’est bien sûr toute la polémique qui a entouré Exodus et son casting. Si normalement il est de bon ton de ne juger un film que pour ce qu’il est en tant que tel (et là je pense notamment à La Vie d’Adèle), ici, la polémique a une incidence directe sur le film et sur la perception que l’on s’en fait. Christian Bale, Joel Edgerton, Sigourney Weaver et John Turturro sont tous de bons acteurs, c’est presque impossible de dire le contraire, seulement voilà, ils n’ont rien à faire dans ce film (ils jouent, à l’exception de Bale, des Pharaons égyptiens, rappelons-le quand même), et n’ont strictement aucune crédibilité dans leurs rôles (beaucoup de maquillage, très visible, pour qu’ils aient l’air un peu plus bronzés, personnellement ça m’a énormément gêné). Si Bale parvient tout de même à composer quelque chose d’intéressant, Edgerton surjoue et se ramasse, tandis que que les deux autres se retrouvent balayés au rang de seconds rôles dont le temps d’apparition à l’écran est presque inexistant. Cela laisse de sérieux doute sur les intentions de Scott, et surtout sur sa représentation raciste de l’Égypte antique. Mais au-delà de ça il y a aussi un énorme problème d’écriture, qui touche aussi bien les personnages que le scénario qui est d’une stupidité assez alarmante, et qui ne prend surtout jamais le temps d’iconiser ses personnages, ou de développer leur psychologie. Autant vous dire que l’émotion est aux abonnés absents, et que l’on passe les trois quarts du film à attendre vainement les frissons promis par l’affrontement soi-disant « épique » entre les deux frères. De plus, à la différence du Noé de Aronofsky, où tout le côté torturé du prophète devenait une véritable force psychologique et émotionnelle pour le film, ici Moïse, figure biblique assez importante tout de même, est réduit au statut de simple « guide touristique » un peu perturbé par la présence de Dieu, un Dieu auquel on a d’ailleurs retiré tout son côté mystique pour le représenter sous les traits pas très subtils d’un gamin insupportable.
Mais ce n’est pas tout. La narration souffre elle aussi des très nombreux mauvais choix faits par Scott, à l’image de ces nombreuses ellipses souvent grossières et malvenues, qui plombent littéralement tout le rythme de son oeuvre. Cela crée un paradoxe assez comique qui démontre un peu à quel point le montage est chaotique, puisque le film est interminable alors que l’histoire est sans cesse en évolution. L’action est pauvre, et souvent très mal filmée, mais c’est surtout toutes les séquences mettant en scène les dix plaies d’Egypte qui posent problème, tant elles semblent être expédiées alors qu’elles constituaient, à la base, ce que le film avait de mieux à proposer. Et si Ridley Scott semble se soucier énormément de la direction artistique de son film, on notera quand même quelques belles choses dans la reconstitution, on est très loin de retrouver les talents d’esthète démontrés par le réalisateur dans ses œuvres précédentes. Beaucoup d’effets numériques pas toujours soignés (et pas aidés par une 3D franchement dégueulasse), une photographie fade, mais surtout beaucoup d’incohérences, de facilités, et de grossièretés dans la mise en scène, en particulier durant la séquence de l’Exode, un festival de la bêtise hollywoodienne qui n’a pas manqué de faire rire quelques personnes, dont moi, dans la salle.
Le constat est rude, c’est clair, mais en même temps y’a de quoi être énervé. Le fiasco est total, puisque Ridley Scott se vautre dans absolument tout ce qu’il entreprend, et ce, du début jusqu’à la fin. La fin du film qui manque d’ailleurs énormément d’impact, et laisse un beau sentiment d’inachevé. Cela explique aussi l’énorme pourquoi du four dont est victime le film au box office américain, et l’avalanche de critiques assassines qu’il se prend dans la tronche depuis sa sortie. Le scénario est une aberration, la musique est pompeuse, et si on discerne parfois quelques petits éclats d’ambition, ils sont malheureusement vite noyés par la pauvreté de l’ensemble qui n’est au final qu’un blockbuster crétin, dénué d’émotion, et totalement désincarné. C’est d’autant moins pardonnable lorsque l’on a à son actif une filmographie aussi riche que celle de Scott, pourtant habitué à ce genre de production. C’est donc un zéro pointé pour ce péplum biblique que, personnellement, j’ai rapidement l’intention de sortir de mon esprit. Cher Mr Scott, je compte sur vous pour vous rattraper avec The Martian et la suite de Prometheus.