Je me souviens, il y a une douzaine d'années, quand je n'étais qu'un collégien d'1m57, de la salle de perm, à la cour, jusqu'aux couloirs étroits menant au réfectoire, se murmuraient avec insistance chez la plupart de mes camarades les mots suivants : "Battle royale!! Battle royale!!" .
On sentait déjà le culte grandir, même mes meilleurs amis d'alors, se racontaient les yeux plein d'étoiles, le récit des meilleurs meurtres de ce film-jeu de massacre entre ados coincés sur une île à la Agatha Christie.
Moi, je dois dire que voir des japonais s'étriper la tronche pendant 2 heures, ça ne me branchait pas des masses.
Je me méfiais des nouveaux phénomènes venus du pays du soleil levant. Disons que plus jeune, je m'étais déjà fait arnaquer avec les grosses merdes de Tamagochi.
Puis plus tard, avec ces gros cons de pokemons, et ces créatures jaunes hystériques ressemblant à s'y méprendre à des poupées pour filles en mal d'amour.
J'avais pourtant cédé, en achetant la cartouche pokemon bleu, et fini par être complètement aliéné à mon tour, jusqu'au point de faire des manips bizarres, notamment en nageant autour de cramois'île pour choper des Akwakwak niveau 152.
Bref j'avais peur des japonais.
Avec le temps, cette méfiance s'étant à peu près éteinte, et voyant récemment que c'était le film préféré de Tarantino de ces 20 dernières années, je me suis dit qu'il fallait bien tenter le coup..
Dès le départ pourtant, tous mes compteurs nanars se mettent en alerte :
- Des militaires débiles capturent des écoliers débiles
- Des écrans de contrôle cheap des 90's façon Goldeneye n64
- Des écolières en jupette sorties tout droit d'un pink film
- Un pitch simplet qu'on croirait sorti d'un survival ricain des 80's
- et Takeshi Kitano qui surjoue comme un dingue
Et puis ils sont quand même 40 écoliers, et au moment où Professeur Kitano commence à faire l'appel en temps réel avant de les lancer sur l'île pour s'entretuer, je me dis que ça risque d'être long (surtout 40 noms que je confondrai tous).
Mais non, c'est plutôt bien foutu, l'ellipse est intelligente, l'ambiance commence à être très très immersive et fun à souhait, avec chausses-trappes, pièges, feintes en tout genre.
Y a plein de gadgets, chacun à sa valise, y a deux mecs inconnus qui vont faire partie du jeu (vidéo) et qui n'ont rien à voir avec les autres, une île mystérieuse, bref tout plein de mystères ludiques.
On a quand même un cocktail potentiellement explosif : En soi le collège c'est la guerre et la lutte pour la survie dans un milieu profondément hostile, le terreau des rancoeurs, des haines, des amitiés aussi, qui vont être ici poussées jusqu'à un degré absurde, et vous rajoutez le cadre psychopathique du Japon, avec une grosse dose de concurrence et de sélection, une pression, une tension de tous les instants, et on a entre les mains une bombe.
D'ailleurs je repense à mes potes, il y avait quelque chose de très parlant pour eux, bien sûr ils n'allaient pas se charcuter entre eux dans la minute, mais ils s'y voyaient dans le film, comme dans un jeu de rôle, et se demandaient ce qu'ils feraient en pareille circonstance, et comment ils défonceraient la gueule de Anthony E.. à cause de sa grande gueule.
Drélium dans sa critique, reproche au film d'avoir un côté "hélène et les garçons", parce que par exemple des meufs auraient le casus belli de la jalousie "oh tu m'as trompé avec Xiaw Pweng pong! je vais t'enfoncer ma machette dans la gueule salope".
Mais les conflits de collégiens ce sont ces conflits "hélène et les garçons", les motifs y sont toujours débiles et insignifiants, et peuvent pourtant conduire à des circonstances dramatiques.
C'est idée du film (et du manga) toute simple et très parlante, qui a expliqué selon moi son succès phénoménal.
Le hic, c'est que dans les faits, ça ne marche pas aussi bien.
Les relations entre les personnages sont souvent assez incompréhensibles ou bâclées. Les histoires romantiques sont laborieuses, mal racontées, avec un défaut d'écriture constant. (Par exemple le coup du mec qui nous bassine pendant 10 minutes avec une photographie où une meuf lui a souri et en cherche le sens, ce dont on se contrefout complètement car ça ne fait pas avancer l'histoire).
Des personnages très intéressants qui sont peu développés, et d'autres beaucoup plus fades qui prennent une place démesurée (je pense au héros notamment, au charisme d'amibe). Et il y a aussi ce groupuscule d'étudiants-rebelles qui essayent de trouver un moyen d'évasion et dont le film ne fera strictement rien..
Et il y a cette fin qui n'en finit plus, peu claire (comment le mec fait pour désamorcer les colliers par exemple ?), même si parfois drôle (grâce à Kitano).
Par contre il y a d'indéniables qualités qui auraient pu en faire un très grand film :
- La séquence du phare, citée sans aucun doute possible par Tarantino dans Inglourious Basterds dans sa scène de la taverne, et qui offre un gunfight absolument énorme!
- Les plans sont tous plus beaux les uns que les autres. L'île fait vraiment rêver, avec ses roches granitiques, ses forêts, ses vagues, ses baraques abandonnées, ses buildings centenaires rongés par le lierre..
On n'est pas loin de Jurassic Park d'ailleurs dans le design global très 90's, et ça c'est hyper cool.
- Le travail sur la musique franchement excellent notamment lors des scènes d'action
- Une méchante flippante à souhait, surtout quand elle se met à sourire..
- Le côté Terminator du film : John Connor (le gentil héros à bandana) vs le T800 (le méchant qui transpire la classe en tenant son uzi d'une main, et qui est là car il a choisi d'être volontaire, et qui est pratiquement imbattable), et un duel final façon "Le jugement dernier" dans les flammes de l'enfer!
Je n'ai certes pas trouvé le film génial (alors qu'il était pas loin de l'être), mais jouissif en diable, on en prend plein les mirettes, et c'est sûrement là l'essentiel finalement.