Il restait de mon enfance un souvenir embrumé et incertain. Celui d'un film français assez bizarre qui mettait en scène un chien qui pensait. Inquiétant, qui faisait sombrer dans la folie une mamie pas très nette et tentait de noyer un bébé dans une piscine.
La sortie ces jours-ci d'une édition Blu Ray de ce Baxter tombait donc à pic pour renouer avec ce que mon enfance avait hissé au rang de bijou. Pour rafraîchir les images approximatives que je gardais en mémoire. Et faire revivre le plaisir d'une découverte atypique, alors que je devais n'avoir, à cette époque, que onze ou douze ans.
Hier soir, j'ai aussi compris qu'en 1989, le cinéma osait les sujets sombres, les ambiances atmosphériques désenchantées et l'absence de concessions. Jérôme Boivin ose en effet adopter le point de vue d'un chien au physique étrange, balloté de maison en maison, sur le monde qui l'entoure. Sur une humanité qui, tout au long des trois parties de sa vie, tombe lentement dans l'absence d'affect, la bêtise et la superficialité.
Chacun des propriétaires de Baxter sombre, chacun à sa manière, tandis que le petit bull terrier sera dessiné comme le miroir de ce mal être et du manque de contact, d'amour et de communication dont peut être capable l'égoïsme humain.
Tout cela comme le terreau de la raison qui fout le camp et de la radicalisation des esprits, dont l'exemple le plus frappant du film est cet enfant de petits bourgeois, a priori bien sous tous rapports, mais dont l'intériorité troublante du regard et les silences créent instantanément le malaise et la nausée.
Cette troisième partie dessine alors des cheminements et des vies qui se croisent, une sorte de communion indéfinissable. Le petit chien blanc et ses pensées contre nature s'humanisent, parfois bien malgré lui, tandis que ce démon tapi dans les recoins noirs de la supposée innocence de son petit maître flatte ses plus bas instincts. Deux âmes soeurs longtemps privées de guide, de règles, de contacts et de compassion. Ressentant ni l'amour, ni la peur, comme le constate le bull terrier.
Et de se rendre compte que Baxter n'est monté, finalement, que comme un douloureux requiem pour son héros, comprenant peu à peu la folie des hommes tout en constatant qu'il lui est devenu impossible de s'affranchir de ses carcans. Son N'obéissez jamais ! résonne dès lors comme le Cours ! ponctuant le Battle Royale de Kinji Fukasaku, tout en préfigurant la révolte canine menée par Hagen et mise en scène dans le merveilleux White God de Kornél Mundruczo.
Et quand le dernier plan du film souligne l'identité de pensée et d'attitude du chien et de son jeune maître, il ne sera pas interdit de frémir de l'avènement d'un nouveau petit sociopathe dont seule l' (absence d') humanité portera le poids de la responsabilité.
Behind_the_Mask, chien-chien à sa mémère.