Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude, mais tout de même, il est toujours tentant de débuter une critique sur ce genre de film en rappelant à quel point le plaisir que l’on peut y ressentir ne peut se dissocier de la conscience d’avoir en face de soi le représentant anachronique d’un sous genre du cinéma populaire tombé totalement en désuétude ces 20 dernières années, à savoir le survival animalier. Ces séries B, plus ou moins budgétées, allant du pur nanar de série Z au mini blockbuster de studio, qui ont bien entendu fleuri suite au succès monstre du film matriciel d’un certain Steven Speilberg, au mitan des 70’s, pour se perpétuer jusqu’aux 90’s, décennie peu à peu revue à la hausse dans le cœur des cinéphiles pour tous les courants qui s’y seront développé et auront concouru à en faire la dernière décennie marquée esthétiquement et culturellement, nous ayant offert un paquet de films plus ou moins reconnus, ayant pour certains pris une vraie valeur avec le temps. Tout ça pour en arriver à aujourd’hui, dans le morne paysage du cinéma hollywoodien incapable de se renouveler, ne se perpétuant que sur les cendres encore fumantes des films d’avant, se recyclant indéfiniment jusqu’au point de non retour. Dans un tel contexte de sinistrose ambiante, voir débarquer un film tel que Beast, à savoir n’appartenant ni à la catégorie du blockbuster, ni à la frange la plus indé de la production, produit par Universal, sur un pitch aussi simple qu’efficace nous ramenant à tout un pan de ce cinéma que l’on aime tant, a quelque chose de forcément savoureux. Bien sûr, il ne faudrait pas se reposer sur le statut rare du film pour en perdre tout sens critique et le porter aux nues sans la moindre nuance, mais toujours est-il qu’avec ce simple argument en bandoulière, le film partait déjà sur de solides rails pour les éternels nostalgiques désemparés face à l’uniformisation ambiante. Si en plus le résultat est réellement qualitatif, mené avec métier et envie par un cinéaste européen qui n’est pas le plus tâcheron des expatriés, ayant déjà montré de vraies dispositions pour les séries B de luxe, il n’y a plus qu’à s’agenouiller et remercier le Dieu du cinéma pour cette petite parenthèse enchantée emballée en 90 minutes chrono, sans le moindre bout de gras pour faire baisser la tension.
Le pitch est donc aussi simple que réjouissant : un père encore endeuillé (Idris Elba, tout en charisme tranquille) avec ses deux filles en vacances en Afrique du Sud, en safari avec un guide proche de la famille, ici autant pour le dépaysement que pour régler ses comptes avec son passé et une certaine culpabilité alimentée par l’une des filles l’accusant de tous les maux concernant sa façon d’affronter les drames de la vie, se retrouvant aux prises avec un lion très énervé décidé à boulotter tout ce qui lui passe sous les babines après que toute sa famille a été abattue par de vilains braconniers.
Certes, l’attirail psychologique n’est pas exempt de clichés qui pourront passer pour des boulets auprès des plus tatillons, et la symbolique lors de l’affrontement final n’est pas des plus légères, mais après tout, on ne va pas reprocher à un film de soigner un minimum ses protagonistes de manière à ressentir de l’empathie pour ces derniers et à vivre leur épreuve mentale et physique avec eux. Aucune raison de se braquer, donc, et tout à prendre dans ce qui reste avant toute chose un bon gros ride riche en tension savamment gérée et en fun comme on en avait plus vu depuis un bon moment. Ce qu’il faut de présentation des personnages, le tout sur une mise en scène élégante tirant parfaitement profit de son décor en forme de gigantesque espace de jeu pour tout cinéaste un peu compétent et soucieux de bien faire, avec une gestion de la topographie exemplaire, tout en longs plans mobiles découpant parfaitement l’espace, et magnifiée par la photographie de Philippe Rousselot évitant le piège de l’image numérique fade et terne devenue monnaie courante actuellement, et plus encore avec ce type de budget. Une lumière paraissant retranscrire fidèlement ce que l’on imagine de la savane, avec ce soleil si particulier créant un quelque chose d’organique et sensitif qui sied parfaitement à l’expérience.
Une fois ceci posé, il n’y a plus qu’à savourer les shoots successifs de tension distillés avec parcimonie par un cinéaste joueur, maitrisant ses codes avec juste ce qu’il faut en plus d’incarnation pour emmener le film au-delà du film de série B vite vu et vite oublié. On frissonne, on se réjouit de la cruauté du bestiau à qui l’on prête des intentions humaines (une vengeance donc), et l’on admire la qualité des effets digitaux, ayant de quoi créer l’illusion chez les plus crédules des spectateurs. Et ce jusqu’à un affrontement final homérique dont nous ne dirons rien de l’aboutissement mais évoquant, toutes proportions gardées, la scène de The Revenant dans laquelle DiCaprio passait un sale quart d’heure face au grizzly. En bref, un vrai idéal de série B, que l’on peut défendre sans honte et sans reproches, comme un vrai bon film, et pas seulement comme un plaisir coupable, prouvant qu’entre des mains délicates et désireuses de produire du bon spectacle noble, il y a encore moyen de proposer un bon compromis entre une certaine classe à l’ancienne et un vrai bon divertissement populaire, suffisamment tendu pour ne pas être qualifié d’aseptisé, sans aller jusqu’à la boucherie gore, ce qui permet d’y emmener des enfants (à partir de 10 ans) pour leur faire éprouver leurs premiers frissons sans grand risque de les traumatiser. Tout simplement cool.