Whaou, ce film dégage une puissance purement incroyable. Je crois que ce qui m’a le plus intéressé au final, c’est que ce film est au final pratiquement (et malheureusement) intemporel et qu’il ne situe pas directement le lieu de l’intrigue, donnant tout son sens au titre. Le développement de l’histoire du jeune Agu est non seulement poignante et dramatique, mais elle nous fait réaliser que le problème est bien plus profond que ce qu’on croirait de premiers abords, et que les conséquences sont bien plus tragiques. Car c’est quelque chose que j’ai également apprécié, le film ne se contente pas de dénoncer les enfants soldats et leur utilisation dans les guerres civiles en Afrique (ou ailleurs dans le monde). Il nous fait prendre conscience à quel point cela les marque profondément et durablement. Quand dans la première partie, Agu et ses amis essayent simplement de jouer et profiter de la vie, développant une imagination incroyable et touchante, avant que la réalité ne les rattrape.
Le film nous fait croire un moment qu’Agu va se mettre dans une quête de retrouver sa mère, mais on comprend très rapidement que c’est non seulement un leurre pour le spectateur, mais quand Agu réalise que c’est également un leurre pour lui, c’est déchirant. On aura donc l’axe central de l’histoire, ou Agu est enrôlé par le Commandant, chef militaire charismatique, voire même plus que cela. On sent une sorte de confiance qui s’installe, de déshumanisation du personnage, quand de l’autre côté le Commandant se révèle comme un père de substitution pour tous ces soldats, une figure qui leur a donné un but, et quand elle les trahit, ils en découvrent toutes la vérité. Ce qui nous amène à la conclusion du film que j’ai trouvé très intelligente car je pense qu’il fallait s’attarder sur l’après-coup, pour qu’on puisse avoir cette lueur d’espoir finale. Et c’est là qu’on se prend véritablement le coup de poing dans la face.
Je parle d’Agu et du Commandant, mais j’ai beaucoup apprécié la relation entre Agu et Strika, qui reste très enfantine mais a également une dimension de plus à cause du contexte, ou avec le second lieutenant. Ces relations donnent à l’ensemble une véritable dimension humaine et dramatique. Le message porté par le film sur les conflits civils est assez puissant, je l’ai trouvé efficace et marquant, d’autant plus qu’il joue à merveille sur la perception. Quand Agu suit le Commandant voir Dada Goodblood, on vit presque ça comme une trahison, alors qu’en réalité le conflit vient de trouver une solution pacifique, a pris une dimension politique, et on écarte logiquement les criminels de guerre. Il m’a fallu un moment avant de m’en rendre compte, et c’est là que j’ai trouvé le film percutant : il n’a pas une grille de lecture simple.
Le casting est franchement bluffant. Bien sûr, de par son expérience, Idris Elba rayonne dans ce film, il impose tellement de charisme dans ce personnage du Commandant. À chaque scène, il est juste incroyable. Mais il y a également les jeunes acteurs qui incarnent Abu et Strika que j’ai trouvé impressionnants pour ce genre de rôle et à des âges si jeunes, tout comme le second lieutenant, qui au départ semble antipathique mais qui réussit à nous faire attacher à son personnage au fur et à mesure. L’ensemble du casting est vraiment incroyable, même pour les rôles secondaires, ce qui donne au film une sensation de réalisme encore plus marquée.
Et techniquement, la production Netflix se révèle d’excellente facture. La musique est assez discrète, mais elle arrive à chaque fois là où il faut pour créer une nouvelle tension, donner une nouvelle dimension, pour nous entraîner encore plus au cœur de cet enfer. Avoir pu tourner au Ghana donne aux décors du film une authenticité qui accentue également cette immersion. La mise en scène est percutante et efficace, avec un cadrage très soigné, un plan-séquence plutôt intense, mais surtout une myriade de scènes intenses qui nous collent sur notre fauteuil. Le jeu sur la photographie, avec par moment l’utilisation de filtre, donne à l’ensemble encore plus d’impact sur l’intrigue, et le montage sera bien sûr impitoyable.
*Beasts of No Nation* fait partie de ces films pas forcément biopic/historique mais où la limite est si fine qu’on finit par ne plus la voir. Percutant, immersif, intense, ce film est un véritable coup de poing et sait exactement quoi nous montrer et comment le montrer. Sur un sujet extrêmement sensible et sur lequel il est très facile de tomber dans le pathos, il trouve le parfait équilibre, et c’est ce qui le rend si efficace dans la transmission de son message. Un film à voir absolument !