Le site est en ligne, vous pouvez désormais revenir à vos activités habituelles. On vous remercie pour votre patience et votre soutien !
(Il est encore possible que le site rencontre quelques problèmes de performance)

Voir le film

Dans le haut du panier du catalogue Netflix

En 2015, House of Cards était diffusé depuis quatre ans et Orange is the New Black depuis deux ans sur Netflix. Le géant américain ne disposait pas encore de films originaux exclusifs à sa plateforme et pour son premier film, il ne choisit pas la facilité en achetant les droits d'un scénario à fort potentiel sur les enfants soldats en Afrique.
Quant au réalisateur, c'est au touche-à-tout Cary Fukunaga à qui a incombé la tâche difficile de mettre en scène ce récit, fort de du très bon écho de la première saison de True Detective. En effet, ce chef-d'oeuvre télévisuel doté de personnages torturés et d'une ambiance sordide plaça directement Fukunaga dans la cours des réalisateurs à haut potentiel.
Avant ce monumental thriller, le réalisateur américain signe pour son premier film une oeuvre sur l'immigration, puis un drame romantique et va continuer par la suite à alterner les genres avec brio. Sa dernière réalisation en date, Maniac, une série à l'atmosphère rétro-futuriste traitant de la schizophrénie l'atteste, mélangeant différents genres et univers, afin de créer une atmosphère singulière et unique. Ces films en apparence très différents ont bien des thèmes en communs comme le déracinement, la noirceur de l'âme humaine, la quête existentielle ou encore la folie.
Dans Beasts of No Nation, Fukunaga crée une oeuvre crue et hallucinée sur la déshumanisation des enfants-soldats et permet à Netflix de s'imposer comme un acteur de poids, autant dans la production de séries que de films.
Le récit narre l'histoire d'un enfant, Agu, devenu orphelin, puis transformé en enfant-soldat dans un pays africain non-nommé (probablement le Ghana) et en proie à une guerre civile. Embrigadé sous les ordres d'un leader charismatique, Agu va commettre les pires horreurs dans un monde nauséeux et chaotique qui lui échappe totalement.


Une retranscription sans filtre de la violence d'un conflit


Le réalisateur a tenu à mettre en scène une Afrique authentique et réaliste, loin des clichés que peuvent en avoir les occidentaux. Les personnages alternent par exemple entre l'anglais et leur dialecte. Au premier abord, les enfants y sont insouciants et heureux, jouent la comédie à travers une télévision sans écran et rient entre eux. Les coutumes y sont évoquées comme les danses et les repas en famille. Ces scènes semblent être réellement filmées par une équipe de documentaristes tant le quotidien des personnages s'avèrent justes. Bien que cette mise en place du contexte soit un brin longuette, la naïveté des personnages et l'ambiance chaleureuse du village permettent de contraster d'autant plus fort avec l'horreur qui va suivre. À commencer par la séparation de la mère d'Agu et de sa famille, la première des nombreuses souffrances que va endurer le jeune garçon. Ce dernier, lucide sur la situation, déclare en voix-off sous la pluie battante :



« On peut sentir le sol être emporté sous nos pieds, rien n'est
jamais sûr, et tout change en permanence. »



Après l'attaque de son village par des soldats et la mort de son père et de son frère, Agu se fait enrôler dans un groupe d'enfants-soldats mené par le commandant (Idris Elba, magnétique), un leader charismatique à l'allure de gourou et qui lui fait comprendre qu'il fait dorénavant partie de leur « famille ». Le jeune garçon va subir un endoctrinement, allant du martèlement d'informations à la glorification du leader de la patrouille/secte, jusqu'à un lavage de cerveau total. Le personnage d'Idris Elba (déjà imposant du haut de ses 1m90) est glorifié comme un dieu et va devenir un guide spirituel pour toutes ces âmes perdues et sans attaches.
Une scène choquante et significative de la déshumanisation des enfants reste le premier meurtre d'Agu. Après une hésitation puis l'action décisive, le sang se mit à couler à flot. Mais la victime ne flancha pas et continua à regarder le jeune garçon droit dans les yeux. Le son devint de plus en plus sourd et les bruits extérieurs n'atteignirent plus ce dernier comme si son acte l'avait fait basculer dans une autre réalité. Sous un bruit lourd et lancinant, un autre enfant frappa le côté du crâne de l'homme, puis les deux gosses s'acharnèrent sur le corps de la victime d'une violence bestiale. En contreplongée, le sang gicla sur la caméra donnant le point de vue de la victime et renforçant le réalisme de la scène. Le commandant regarda cette dernière en souriant d'un air approbateur. Par la suite, Agu vomit son acte et sa culpabilité, plus rien ne sera jamais pareil...
Cette scène est filmée de manière réaliste mais jamais moralisatrice, tout comme la violence y est crue mais non complaisante, à l'image du film lui-même. Le spectateur ne peut qu'assister impuissant à cette lente descente en enfer que va subir l'enfant-soldat.


Transe collective et guerrière


Cary Fukunaga a également recherché à mettre en évidence certains rites de passage africains comme cette cérémonie où Agu doit échapper à des coups de bâtons ou bien survivre à une exécution (tirées avec des balles à blanc) sensée donner l’invincibilité aux jeunes combattants. Ces cultes font partie du processus d'endoctrinement des enfants qui vont être poussés toujours plus loin dans leur dévouement fanatique au commandant. L'usage de drogues leur permet également d'altérer leurs sens tout comme leurs capacités de rationalité et de jugement.
La scène qui l'illustre le mieux est la séquence la plus marquante du film mettant en scène le personnage d'Idris Elba qui motive ses troupes en dansant, chantant et poussant son équipe dans une sorte de transe hypnotique. Les corps en sueur se mirent à se toucher et à se courber, certains enfants pleurèrent, d'autres poussèrent des cris. Puis, les jeunes soldats finirent par avancer hors de la fumée, mitraillant à tout-va, ne voyant leurs ennemis non plus comme des hommes mais des cibles à abattre. Certains soldats, totalement nus, changèrent drastiquement de personnalité s'apparentant désormais à des bêtes sauvages et aliénées, voire à des êtres déments invoqués des enfers. L'envolée musicale de cette séquence, mêlée aux cris de guerre et aux chants, donnent une dimension épique et spirituelle aux combats aussi fascinants que terrorisants.
Mais cette sensation de puissance divine ne sera que de courte durée et la réalité finit par les rattraper. Les camarades furent de moins en moins nombreux et le commandant perdit petit à petit son aura mystique. Quant à la frénésie d'Agu, elle se mua en tristesse. Tandis qu'il regarda le ciel nuageux à la recherche d'un espoir inaccessible, ses bottes s'enfoncèrent dans la boue mélangées aux torrents de braises et de sang qui jonchèrent cette terre meurtrie. Désormais, les bêtes délirantes perdirent de leurs férocité et préfèrèrent se terrer dans des tranchées humides à boire des bières et à fumer des clopes roulées. Le rose des arbres sous l'effet de la drogue se changea en terre cuite qui enveloppa désormais ces monstres égarés qui ne furent plus que des démons attendant péniblement leur sort aux portes de l'enfer.
Le final annonça une rédemption pour les âmes perdues qui décidèrent, malgré les horreurs commises, de changer de vie. Manipulés et traumatisés, on ne nous révèla pas les nombreuses séquelles que renfermèrent ces enfants, le film préférant nous laisser sur une note d'espoir et d'optimisme laissant place à une autre réalité, celle de l'accalmie et de la paix.


Le choix de voir ce film sur Netflix


Beasts of No Nation est un film important. Car il traite d'un sujet peu évoqué au cinéma et le fait de manière juste et sans préjugés. Le film évite de tomber dans le pathos et préfère nous montrer les événements directement au coeur du conflit, provoquant parfois le dégoût, mais soulevant aussi les consciences sur une pratique guerrière encore en pratique et la déshumanisation qui en résulte.
Le film de Cary Fukunaga est également nécessaire car il montre une nouvelle voie pour les productions risquées et difficilement rentables dans les salles de cinéma. Certes, Netflix n'est pas le sauveur des oeuvres risquées et des cinéastes exigeants. Actuellement, leur politique semble plus être de l'ordre de la récupération de tout ce qui leur passe sous le nez sans réel choix artistique. Quant à leurs contenus originaux, certains réalisateurs confirmés comme Bong Joon-ho ont pu leur apporter une plue-value artistique (le sympathique Okja), mais la plupart de leurs contenus frôlent la série B peu inspirée comme Outsiders ou Hold the Dark qui misent tous les deux sur la violence graphique afin de se persuader d'être mature et combler le vide de leur propos.
Malgré ces déconvenues, on ne peut que saluer l'engagement de la plateforme pour des films originaux et peu commerciaux, tout du moins en apparence. Il est vrai qu'il est dommage qu'un film à la photographie aussi belle que Beasts if No Nation et au mixage sonore percutant (assuré 100% frissons) ne sorte pas en salle (mis à part dans les festivals). Mais entre le choix que puisse se concrétiser les prochains Cuaròn et Scorsese et les voir batailler dans un système qui n'accorde pas la moindre prise de risque, le dilemme est vite résolu de mon côté. Le futur s'annonce donc prometteur. Quant à Beasts of No Nation, il reste à ce jour le meilleur film Netflix et Cary Fukunaga, l'un des réalisateurs les prometteurs de sa génération. Il ne lui manque que le temps d'être enfin reconnu à sa juste valeur.

tittytwister
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films originaux Netflix

Créée

le 22 oct. 2018

Critique lue 1.2K fois

tittytwister

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

D'autres avis sur Beasts of No Nation

Beasts of No Nation
VaultBoy
8

Les Bêtes de l’Ouest sauvage

Pour son tout premier long métrage de fiction original, Netflix a fait fort. L’entreprise américaine a ainsi déboursé 12 millions de dollars pour récupérer les droits de distribution de Beast of No...

le 22 oct. 2015

29 j'aime

Beasts of No Nation
JakeElwood
8

If I'm talking to you, it will make me sad and it will make you too sad.

Cary Fukunaga s’est rapidement imposé comme un conteur hors pair grâce à ses travaux précédents dont il fut scénariste ou réalisateur, en particulier la première saison envoûtante de True Detective...

le 21 oct. 2016

17 j'aime

Beasts of No Nation
Pierre_Thomas
6

Critique

Beasts of No Nation est bien sous différents points de vues, mais il ne m'a pas conquis comme je l'attendais. C'est beau, bien réalisé, super acteurs etc. Mais l'histoire reste plate. Ok on suit le...

le 2 nov. 2015

11 j'aime

Du même critique

Tenet
tittytwister
5

Inception, 10 ans plus tard

Inception est sorti il y a 10 ans et cette séance a été mon premier choc de cinéphile au cinéma. Mais ça, c'était avant. Et comme le futur c'est le passé, revenons un moment dans le moment présent...

le 28 août 2020

1 j'aime

Collatéral
tittytwister
9

Los Angeles: La Loi de la jungle

La nuit était calme et fraiche comme à son habitude. Les lumières des magasins et les phares des voitures se reflétaient sur les vitres du taxi. Les chauffeurs préfèrent généralement travailler la...

le 9 sept. 2018

1 j'aime

Beasts of No Nation
tittytwister
8

Dans le haut du panier du catalogue Netflix

En 2015, House of Cards était diffusé depuis quatre ans et Orange is the New Black depuis deux ans sur Netflix. Le géant américain ne disposait pas encore de films originaux exclusifs à sa plateforme...

le 22 oct. 2018