Beau. Solide. Prévisible ? En fait non.
Les Balkans, c'est dur. Des brutes y tirent sur des chats au fusil mitrailleur.
Bon, je développe. C'est un film sur un pays de l'ex-Yougoslavie assez peu montré au cinéma, la Macédoine (FYROM actuelle). Il suit plusieurs personnages de manière non-chronologique et développe ce mélange de beauté champêtre et de fatalité liée à la guerre, à la loi du sang propre aux Balkans. Sautez jusqu'aux deuxièmes pointillés, je spoile.
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La première partie, "Words", suit un jeune moine orthodoxe qui a fait voeu de silence, Kiril. La première scène plante le décor, avec ce potager de crête qui domine le lac au bord duquel se trouve l'église à plan grec. En rentrant, Kiril trouve dans sa chambre une ado albanaise qui se cache après avoir été accusée d'avoir tué un Macédonien. Kiril la cache, y compris des moines, qui ne sont pas dupes. Il finit par partir avec la fille, dont il est amoureux, mais ils sont rattrapés par ses cousins. Kiril s'éloigne, Zamira lui court après mais ses cousins lui tire dans le dos. Un photographe prend toute la scène.
La deuxième partie, "Faces", est la plus déroutante. On suit à Londres une journaliste , Anne, qui a trompé son mari avec un photographe de guerre d'origine macédonienne, Aleksander, récemment décoré du prix Pulitzer pour sa mission en Bosnie. Aleksander a l'air usé par la guerre, décide de repartir en Macédoine, puisqu'Anne refuse de vivre avec lui. Alors qu'Anne dîne avec son mari pour lui annoncer qu'elle est enceinte mais veut divorcer (ça fait beaucoup pour un seul repas), une fusillade sur laquelle je n'ai pas compris grand-chose tue le mari, défiguré.
La troisième partie, "Pictures", suit Aleksander dans son retour au pays. Il retrouve ses cousins Bojan et Stojan, leur voisin Mitre (un milicien qui pourchassait la file dans la 1e partie). Alors que le village albanais est complètement fermé aux Macédoniens, il obtient du père de revoir Hana, son amour de jeunesse, pour le fils de laquelle il a amené un cadeau. Puis les événements s'enchaînent : Bojan est tué ; Stojan essaie de violer une jeune Albanaise, Zamina. Comme Aleksander s'interpose, il est tué par son cousin, qui ensuite accuse l'Albanaise.
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La narration est en fait inconsistante : la conclusion de "Pictures" suggère qu'elle aurait dû se passer avant "Words", ce qui est impossible puisqu'on voit Aleksander encore vivant prendre Zamina morte en photo.
Erreur scénaristique ? Pas du tout. A plusieurs reprises, le film insère la citation : "Le temps ne meurt jamais. Le cercle n'est pas rond". Manière de dire que le cercle de la violence ne peut pas être fermé dans cette atmosphère où des communautés coexistent en se tournant le dos, ruminant des rancoeurs ataviques. Peu importe donc la séquence des événements, peu importe qu'elle ne soit pas logique, voire impossible : quoi qu'il arrive, la pluie viendra, la violence reprendra. Grâce à cette pirouette bien amenée, le film retourne à son avantage un scénario qui sinon aurait pu sembler assez peu inspiré (rejouer Roméo et Juliette pour dénoncer l'absurdité de la guerre ; le photographe de guerre fatigué...).
La mise en scène, sauf dans la 2e partie, dans un Londres moderne assez agressif, mise sur la lenteur et fait la part belle aux paysages de montagne, de lac, de la Macédoine. Paysages immémoriaux, à peine transformés par l'homme. Avec des cadrages superbes, comme cet arbre isolé sur une crête se découpant dans l'encadrement d'une porte. Ou encore cette scène primordiale montrant une brebis accouchant de deux agneaux. Une lumière orangée domine et caresse les lits de rivière à sec, les collines, les visages pensifs. Beaucoup de notations folkloriques : enterrement, mariage....
Cela dit, la forme pèche un peu par les emprunts au cinéma hollywoodien type "Le parrain", avec parfois un symbolisme efficace, mais un peu trop insistant (le visage de la journaliste se reflétant dans un miroir brisé comme raccourci des affres de la modernité). Mais il y a aussi de belles idées, comme ce combat de tortues que les enfants organisent dans un cercle de brindilles, en plaçant sur les animaux des bouts de bois figurant des canons de tank.
Un film beau, très pensé, destiné à nous, public occidental, pour nous ouvrir sur un pays fort méconnu. Pas mal, pas mal.