Being Good
7.6
Being Good

Film de Mipo Oh (2015)

Lors d’une récente interview à l’occasion de la sortie de Notre Petite Sœur, Kore-Eda Hirokazu nous avait confié avoir adoré le nouveau long-métrage de Mipo O, Being Good, seul film japonais en compétition au Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul cette année. On comprend aisément pourquoi en sortant de la salle, tant la filiation entre les deux cinéastes résonne comme une évidence.


Pourtant, à la lecture du synopsis, on peut ressentir une certaine appréhension quant à la dureté des thèmes abordés. Entre le jeune instituteur inexpérimenté proche du point de rupture avec ses élèves, la mère qui ne peut s’empêcher de frapper sa fille à chaque nouvelle bêtise, la vieille dame qui souffre des premiers troubles de la maladie d’Alzheimer, ou le jeune autiste cloîtré dans son monde, Mipo O rassemble tous les éléments du catalogue misérabiliste typique d’une certaine frange du drama japonais. Mais la réalisatrice contourne tous les pièges qui lui sont tendus et fait preuve d’une acuité remarquable pour traiter son sujet. Plutôt que de tomber dans le mélodrame lourdaud, la critique acerbe ou le jugement moral, elle choisit la voie du cœur, de la compréhension de l’autre, de l’altruisme et de la douce rédemption. La cinéaste préfère se concentrer sur la beauté des rapports humains et la transmission des valeurs entre les êtres.


C’est ce souci de transmission qui provoquera un basculement salvateur chez les personnages. L’instituteur, au départ victime de son inexpérience et coincé entre son groupe d’élèves indisciplinés et l’intransigeance de leurs parents, décide de briser la barrière érigée par les conventions pour mieux s’impliquer auprès de chaque enfant. Dans ces moments-là, Being Good partage la même sensibilité qu’Entre les murs de Laurent Cantet. On y retrouve aussi la même énergie, la même pertinence dans les idées, notamment lors de cette magnifique séquence où l’instituteur donne un devoir très spécial à ses élèves. C’est là qu’intervient le fameux basculement. Mipo O recentre notre regard et nous fait comprendre que chaque enfant, chaque cercle familial est différent, et requiert des réponses différentes. L’objet de ce devoir ne sert finalement qu’à reconstruire le lien parfois perdu entre l’enfant et ses proches, et ainsi mettre en évidence la recherche permanente d’attention et d’affection chez l’enfant.


L’instituteur, en tant que personne extérieure, par son implication et sa volonté de transmission, amène le regain d’affection au sein de la cellule familiale. Il en est de même pour cette mère qui, soupçonnant sa voisine de commettre des actes de violence envers sa fille, se rapproche d’elle pour tenter de les « sauver », elle et son enfant. Il n’y a pas de jugement hâtif, juste une tentative de comprendre la cause de ces actes, de renouer le lien, et de montrer à cette autre mère que, malgré les sévices subis, sa fille reste toujours attachée à elle. Le basculement s’opère lors d’une scène bouleversante, où le lien, rompu depuis si longtemps, renaît grâce à un acte de tendresse aussi surprenant que libérateur.


Et puis il y a cette vieille dame, seule dans sa grande maison, qui perd peu à peu la mémoire et tente de se raccrocher à ses derniers souvenirs. Tous les matins, parmi la horde d’élèves traversant sa rue pour aller à l’école, elle discute avec un jeune autiste qui lui sort son « bonjour, au revoir » habituel tout en exprimant un besoin tactile inépuisable, comme s’il voulait tout découvrir du monde. Un jour, le garçon égare ses clefs. La vieille dame, pour le calmer, décide de lui donner les siennes, comme une invitation à pénétrer dans son univers. Le handicap s’efface alors devant la richesse d’un échange générationnel, qui culmine lors d’une autre scène fabuleuse où la vieille dame, le jeune garçon, sa mère, d’autres parents et enfants autistes ainsi que leurs professeurs s’amusent ensemble, dans un élan de joie invoqué par la Neuvième Symphonie de Beethoven.


Mipo O maintient un équilibre salutaire entre la force de son propos et la douceur qui émane de son cinéma. Elle garde sans cesse la bonne distance par rapport à ce qu’elle filme, mêlant les trajectoires de ses personnages avec une fluidité bienvenue, comme si chaque histoire se nourrissait de l’autre pour mieux s’épanouir. La réalisatrice peut s’appuyer sur de formidables interprètes, notamment les enfants, dont le naturel saisissant rappelle encore une fois l’œuvre de Kore-Eda. Le regard bienveillant qu’elle pose sur ses protagonistes emplis de contradictions crée en nous un sentiment emphatique qui nous implique émotionnellement du début à la fin. Et même si son terrassant plan final nous fait comprendre que, malgré tous les efforts du monde, certaines situations restent désespérées, Being Good est une ode à l’optimisme, un vrai moment de grâce qui touche juste et nous bouleverse profondément.


http://eastasia.fr/2016/02/20/fica-2016-being-good-de-mipo-o-chaleur-humaine/

DelSpooner
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le 20 févr. 2016

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