"Benny's video" est un film éprouvant, et pourtant il est constitué à 80% de scènes banales : un ado se sert un verre de lait, en renverse un peu, éponge mal. Un ado prend un petit déjeuner avec sa mère. Un ado va chez le coiffeur pour se faire raser la tête, sans en parler à ses parents. Un ado fait un voyage en Egypte et en Israël avec sa mère. Ces scènes peuvent sembler longue, mais le plus intéressant, c'est que derrière leur banalité se cache une tension palpable.
L'histoire est celle de Benny, un adolescent taiseux, gosse de riche à qui ses parents refusent peu de choses, mais pas capricieux pour autant. Il a une télé et deux caméras vidéos dans sa chambre, il écoute du hard rock et loue pas mal de films américains violents. Il a aussi une vidéo d'un cochon tué avec un pistolet d'abattage, dans la ferme de ses grands-parents. Mais il a aussi ledit pistolet d'abattage, bien caché. Un jour, pendant une absence de ses parents, il montre tout ça à une fille du vidéo-club. Ils jouent avec le pistolet, et Benny la tue froidement, puis se dénude et se tartine de sang. Son comportement change. Ses parents le découvrent. Ils prennent la mauvaise décision.
Film alternant les prises vidéos de mauvaise qualité et des images d'intérieur bourgeois à la froideur d'un catalogue Ikéa, "Benny's vidéo" est une réflexion plus nuancée qu'il n'y paraît sur le pouvoir des images. Car la télé de Benny ne déverse pas tant que ça de scènes de violence, et il ne montre jamais de volonté d'émuler cette violence. Les images se chassent l'une l'autre et finissent par abolir le sens des réalités : on ne voit plus la différence entre un film d'action et une page d'actualité. Pas besoin qu'elles soient violentes, même si la télé montre beaucoup d'extraits d'info sur le conflit serbo-croate.
Le premier tiers du film débouche sur une scène de violence insoutenable, qui se passe principalement hors-champ, mais dont la longueur et la crudité met le spectateur à rude épreuve. Elle était annoncée par le jeu de Benny imitant "un policier dans le métro", et a une répercussion avec la scène où il bouscule un camarade sans prévenir. A partir de cette scène, repassée en partie en audio plus tard dans le film, toutes les séquences suivantes, pour si calmes qu'elles paraissent, laissent voir autant de failles muettes dans le quotidien de Benny. La violence de ce dernier arrive sans prévenir, car il n'est pas capable de se mettre à la place d'autrui. Il a même du mal à extérioriser ses impressions, à force d'être le récepteur passif d'images qui l'abrutissent. C'est un de ces films-choc, où une scène centrale tient le spectateur sous son emprise pendant le reste du film. Un peu comme la scène de viol des "Chiens de paille" de Peckinpah.
Il y a aussi une satire sociale féroce à travers le couple de parents, le père cadre sup' très propre sur lui et la mère, artiste reconvertie dans une boutique de reprographie. Le film est une mécanique bien huilée, mais au final il cherche plus à choquer qu'à former le spectateur pour l'orienter vers une morale. Je sais bien que l'idée de Haneke est que le spectateur doit se faire sa propre opinion, qu'il ne faut pas le guider, mais le film tel quel ne me satisfait pas à 100%. Peut-être l'épisode du voyage en Israël est un peu trop long. Peut-être que le quotidien de Benny aurait pu être montré de manière un peu moins froidement mécanique. On aurait aimé que le film ne fasse pas que dénoncer, qu'il propose une issue.
Un film intéressant, bien mis en scène, mais dont le réalisateur est trop ostensiblement absent.