Chez Lav Diaz, il y a à boire et à manger. J'ai eu la chance avant de voir celui-ci 5 films de lui allant du catastrophique (Batang West Side), au faiblard (Norte), au moyen (La Femme qui est partie), au bon (Death In The Land Of Encantos) et au très bon (From What Is Before). Cinq expériences différentes en terme de ressenti personnel et de qualité. "Berceuse pour un sombre mystère" me rappelle à quel point je suis devenu endurant sur la longueur. Moi qui craignait les films de 3h jadis, ils font office de longs-métrages standards désormais.


Mais revenons à notre philippin. Lav Diaz est ce que je considère comme l'un des esthètes du noir et blanc de son temps et ce n'est peut-être pas pour rien que ses deux créations que je n'ai pas aimé soient en couleurs. Dans chaque plan fixe, on retrouve une dynamique propre. Nous ne sommes pas dans une démarche pseudo-hipster de faire du plan fixe pour dire de faire du plan fixe. Il se passe toujours quelque chose. Cela peut aller d'un protagoniste en arrière-plan s'afférant à une tâche quelconque, au bruissement du vent, à la pluie ruisselant sur les feuilles, au cours d'eau dont la sérénité de son bruit nous envahit, au feu éclairant la nuit noire ou encore à un animal passant par là. Le nombre de détails est impressionnant et on se surprendra plus d'une fois à scruter chaque recoin de l'image dont la gloire est attribuée à la forêt luxuriante et aux fleuves. A la manière d'un Apichatpong Weerasethakul, on a un effet relaxant grâce à un rythme étirant le temps et l'espace.


En ce qui concerne l'histoire, au vu de l'absence de synopsis, je me permettrai de copier celui que j'ai trouvé ailleurs :


" Une fresque cinématographique en 3 parties sur la révolution philippine contre le régime colonial espagnol à la fin du 19ème siècle. Isagani, étudiant naïf, brillant et poète, se laisse influencer par le ténébreux Simoun, un radical qui prône la violence au nom de la libération. Représentant les tendances les plus sombres et destructrices de l’insurrection dans les milieux urbains et aristocrates, Simoun opère cependant un virement après une blessure presque fatale."


On en revient finalement à la comparaison avec "From What Is Before" où il est question là aussi de filmer l'histoire philippine à une époque autre qui fut marquée par la colonisation avec son lot de dérives inhérentes. Lav Diaz oblige, il est inutile de s'attendre à des combats, des séquences d'envergure et de l'action. Lui préfère filmer le combat sous sa forme philosophique ou encore ontologique. En un sens, le combat en tant que tel n'est pas le plus important car ce qui lui importe est de mettre en scène la vie de quidams marqués par une révolution qui est bien plus proche qu'on le pense, même au beau milieu de la jungle. Il y aura bien sûr quelques exécutions, des tirs mais ça reste insignifiant.


Lav Diaz aborde un nombre de thèmes que n'offrent pas spécialement le cinéma plus conventionnel du genre. Comment aborder le changement avec une efficacité humaniste plutôt qu'une efficacité brutale ? Pourquoi nous battons-nous ? Quel est le sens profond derrière tout cela ? La liberté ? L'émancipation du peuple ? L'individualisme ? La révolution ne serait elle pas la manifestation d'un groupe répondant à une aspiration commune qui n'est pas partagée par le peuple dans sa globalité ? Tout au long, nous nous baladerons ça et là chez des hommes et femmes souffrant de cette situation, dissertant sur leur vie et ce qu'ils pensent de celle-ci ou encore cette solitude ancrée en eux. Vers la fin, un débat crucial s'engagera entre l'oncle sage et l'acteur principal : La révolution et après ?


Car oui qu'y a-t-il après le combat ? Comment mener à bien son projet et prendre en main le pays délivré de l'emprise espagnole ? Lav Diaz pose des questions sans forcément y répondre. Il fait du cinéma contemplatif et méditatif qui fait que nous nous interrogeons sur quelque chose que nous aurions pu regarder qu'en tant que simple spectateur face à un blockbuster dont la mise en scène se serait arrêtée à l'action directe. L'oeuvre interpelle et met les révolutionnaires face à leurs responsabilités futures.


Seulement, il y a un gros couac : la trop longue durée. Si le contenu est vaste, rien ne justifie une telle durée. Lav Diaz a beau dire qu'il ne s'agit pas de performance, il faut reconnaître que s'éterniser n'amène pas forcément à du positif. C'était très bien passé dans From What Is Before et Death In The land of Encantos (qui durait un peu plus de 9h), là ça finit par lasser. Les dernières dizaines de minutes feront office de véritable calvaire pour garder son attention à son optimum et ce malgré les pauses indispensables pour souffler un peu. Avec 2h de moins au compteur, ça aurait été parfait. Là on est dans une sur-exagération qui n'apporte rien sur la fin, si ce n'est d'émerveiller nos petites rétines. Encore faut-il les garder ouvertes. Comme on le dit souvent, les excès nuisent en tout et le cinéma n'y échappe pas. Reste que l'on a un résultat global de qualité honorable. Attention aux âmes sensibles car la difficulté d'accès en découragera plus d'un !

MisterLynch
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le 15 janv. 2022

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