Après Blue Jasmine, encore un rôle en or pour la Blanchett, qui se régale et donne la mesure de son (impérial) talent dans une composition tourbillonnante et contrastée. Outre l'ébahissement devant la palette émotionnelle de son interprète principale, ce film procure également une sorte de jubilation antisociale, grâce à la misanthropie joviale d'une héroïne géniale et donc décalée, et à la propension à toujours dire les choses telles qu'elles sont de sa fille Bee. Les voisines friquées et superficielles de Bernadette donnent l'occasion au scénario d'épingler un mode de vie aussi contraignant que celui de la bourgeoisie du XIXème siècle, sous des airs de coolerie bobotte et d'écologie de luxe. Mais le film est plus malin que ça, car il sait également dynamiter les clichés dont il fait son miel dans la première partie; on se serait contenté d'une satire de plus sur l'American Way Of Life, mais quel plaisir d'aller encore plus loin et de dépasser la simple dénonciation en retournant l'antagonisme patent entre les bourgeoises et le petit génie de l'architecture, au moment ou cette dernière atteint les limites de sa propre misanthropie. Voire de son immaturité. Le monde entier de Bernadette, écorchée vive que tout agresse, se retourne contre elle et le petit univers bizarroïde qu'elle s'est créé, loin de tous, en vase clos avec sa fille et son mari, vole en éclats quand les nouvelles technologies lui réservent un cadeau empoisonné comme elles savent si bien nous les concocter. Il est alors temps pour Bernadette, diva fantasque et capricieuse, de se confronter à ce qu'elle redoute le plus : l'échec. Sa fille sera sa meilleure alliée, elle qui a été élevée dans le bilinguisme totale, entre le babil creux d'un monde en surchauffe permanente et le sens de l'observation implacable d'une mère ultra-sensible. L'épopée arctique qui suit ne laisse pas le film retomber comme un soufflé, au contraire : la reconnexion avec une Nature d'une absolue pureté permet au scénario d'arriver au bout de sa démonstration, et aux personnages de renouer avec ce qui les porte vraiment. Bref, une histoire complète, qui laboure aussi profond qu'elle ratisse large, n'ennuie jamais, intrigue souvent, attendrit et fait rire... que demander de plus ?