Michele prend ses fonctions de professeur de mathématiques au lycée Marylin Monroe, dont le nom est déjà tout un programme. L'établissement est foldingue, comme ne tarde pas à le découvrir notre jeune héros : un autiste digne de Rain Man est au piano dans une grande salle où une batterie côtoie des flippers et des baby foots. Il fait ensuite connaissance avec l'équipe éducative, introduit par un directeur sans cesse hilare (beau plan de Michele et lui devant un poster d'hommes riant). Un prof d'histoire illustre son propos à l'aide d'un juke box, un collègue à côté est humilié par ses élèves sans que le directeur s'y oppose, un psy semble être l'une des figures incontournables de l'établissement. Quant aux élèves, ils sont selon les cas turbulents et irrespectueux (dans la classe du prof sans autorité), ou au contraire surdoués et exigeants (les élèves de Michele, qui réalisent parfaitement les exercices au tableau et lui posent des colles auxquels il ne sait pas répondre). On pourra y lire une critique sarcastique des écoles alternatives.
Au milieu de ce décor fantasque, Michele a sa propre caractéristique singulière : il épie tous les couples autour de lui, se posant en gardien de l'orthodoxie amoureuse. Or, il ne constate que dépravation : une amie qu'il appelle lui ment sans vergogne ; ses voisins d'en face se disputent sans cesse, madame ne tardant pas même à prendre un amant qu'elle a le culot de convier à la table conjugale ; un couple d'amis se déchire aussi, chacun allant voir ailleurs... Comme par hasard, ceux qui dévient du droit chemin sont retrouvés morts. Un policier va enquêter. Le coupable finira par avouer.
C'est Seven en mode ironique. L'occasion, surtout, pour Nanni Moretti d'installer les marqueurs du personnage qu'il ne cessera ensuite de décliner de film en film : lui-même. Michele, c'est l'homme qui pourfend son époque, déjà en 1985, le grincheux qui déplore les évolutions sociétales. Le misanthrope qui se répand en diatribes savoureuses. L'irascible impulsif, qui peut aussi bien se jeter en costard à corps perdu dans un match de foot lycéen, que se battre avec un jeune insolent. Il a ses obsessions : les chaussures, très présentes ici (jolie scène au commissariat, au ras du trottoir, où l'on en voit défiler différentes sortes dans la rue), motif qu'on retrouve dans nombre de ses films, jusqu'au dernier à ce jour, Vers un avenir radieux, où il égratigne les mules rouges ; le foot, la psychanalyse, l'exigence sur la syntaxe, la variété italienne, les desserts crémeux, les coups de téléphone... tout est déjà là (sauf la Vespa). On pourrait réaliser un montage de ces moments récurrents en parcourant toute sa filmographie. Ce sont souvent les obsessions qui forgent cette chose si précieuse : un style.
Autre constante, plus profonde : il ne sait pas aimer. Lorsque la belle Bianca apparaît, fraîchement recrutée comme Michele mais comme prof de français, notre héros tombe amoureux. Coup de chance, ça va être réciproque. Mais notre héros ne sait pas accueillir avec simplicité la relation qui s'offre à lui : il décidera d'y mettre un terme, au nom d'un avenir qu'il ne parvient pas à imaginer "radieux".
Ni comédie de moeurs, ni critique sociale, ni thriller, un peu tout cela à la fois, Bianca ne convainc pas vraiment. Par manque de clarté sans doute. Le film donne l'impression de vouloir constamment désarçonner, avec succès, mais sans parvenir à un tout cohérent. Quel est le sens de cette scène de repas en compagnie d'une famille française ? Qui sont-ils ? Pourquoi cet énorme pot de Nutella dans lequel puise un Michele nu ? Quel rôle joue le vieux voisin qui le tire du lit le jour de la rentrée ? Par ailleurs certaines scènes, avec le commissaire ou entre Michele et Bianca, sont d'un bavardage un peu complaisant. Résultat : on ne se passionne ni pour l'histoire d'amour, un peu désincarnée, ni pour l'enquête policière, trop parsemée, ni pour l'étude sociale, trop fantaisiste pour accrocher.
Avec La messe est finie, Moretti reprendra son sujet appliqué à un prêtre : là aussi un héros décalé, en colère, échouant dans la mission qu'il s'est fixée. Là aussi le foot, la psychanalyse, des morts qui surviennent. Un second opus bien plus réussi. Ce Bianca prend ainsi des allures de brouillon. "Peut mieux faire", écrirait-on sur une copie. Il le démontrera amplement par la suite.