Après les odyssées, l’Histoire, les biopics, les remakes, les séries, les jeux vidéos, le cinéma devient petit à petit l’antre d’un nouvel appel du pied inspiratoire : le buzz. Illustration avec Bienvenue à Marly-Gomont.
Difficile d’éviter la réaction d’étonnement chez le grand public à l’annonce du film Bienvenue à Marly-Gomont. « Ah, ils en ont fait un film » ? Oui. « Mais avec Kamini dedans » ? Non. Pour ceux qui ne comprendraient pas le sens de cette introduction, c’est que vous êtes soit très jeune, soit très vieux, soit acquéreur d’une connexion internet haut-débit depuis moins de 10 ans. Dans ce cas, cherchez un peu sur ce nouveau moteur de recherche qu'est Google, et faites votre soupe.
Si vous ne comprenez pas pourquoi c’est drôle, pourquoi c’est là, pourquoi ça a plus d’un million et demi de vues et pourquoi tous les gamins chantaient ça une sombre rentrée 2006, ne paniquez pas. C’est le principe même du buzz, et c’en fut peut être le premier à très grande échelle en vidéo sur les réseaux de vidéo, à une époque où les gens s’envoyaient encore des vidéos drôles par courriel. Ici, le décalage est créé entre deux imaginaires antinomiques, le rural et le rap, dans une démarche non dénuée d’humour et de malice malgré son aspect kitsch.
10 ans plus tard, après hibernation en campagne et quelques projets divers, Kamini revient dans son village de l’Aisne, en Picardie pour boucler la boucle. Raconter son histoire ? Très peu pour lui. Son vraiment héros, c’est son père, médecin, dont il va compter l’arrivée puis l’intégration à Marly-Gomont. D’où un film, Bienvenue à Marly-Gomont, dans lequel il n’apparaît pas, si ce n’est par l’esprit.
Intègre moi si tu peux
Nous voilà donc propulsés dans la France du milieu des années 70. Seyolo Zantoko (Marc Zinga, Qu’Allah bénisse la France, Dheepan), père de Kamini, vient d’obtenir son diplôme de médecin généraliste. Problème : difficile de se défaire du climat de racisme et d’intolérance de l’époque. Quand bien même, la violence est le cadet de ses soucis, quand l’administration française va jusqu’à lui refuser la nationalité, les papiers qui vont avec et donc le droit d’exercer dans l’hexagone. Le retour au pays semble inévitable. Heureusement, voilà qu’un plouc vient taper directement à la source, à la sortie des prestigieuses écoles, dans la quête de trouver un nouveau médecin pour sa petite bourgade – inutile de la nommer, vous aurez deviné son nom.
Seyolo ne vient pas seul. Il emmène aussi sa petite famille. Sa femme, Anne (Aïssa Maïga, L’Ecume des Jours), et ses deux enfants, Sivi (Médina Diarra) et bien entendu, Kamini (Bayron Lebli). Eux qui rêvaient de la vie parisienne déchantent bien vite, quand les grands magasins sont remplacés par la grand place et que les communautés africaines s’effacent face à des campagnards qui n’hésitent pas à sortir la fourche et le fusil (littéralement) dès qu’ils voient l’ombre d’un Noir. Il leur faudra donc braver les préjugés, redoubler d’efforts pour éviter de rapidement déchanter et essayer d’obtenir la confiance de la population pour que le père de famille puisse ne serait-ce que toucher la peau de ses patients sans la peur débilitante d’une tâche indélébile.
Une belle histoire ne fait pas un bon film
Côté réalisation, Kamini a confié son Bienvenue à Marly-Gomont à Julien Rambaldi, qui a pour seuls faits d’armes cinématographiques Scotch en 2003 et Les Meilleurs amis du Monde en 2009. Maigre. Malgré la contextualisation scénique des années 70 immédiate offerte, bras quasi-tendus, à son cinéaste, celui-ci parvient tout de même à rendre la mise en scène quasiment inexistante, se contenant de plans convenus et d’une atmosphère de téléfilm difficilement excusable au cinéma. Pour ne rien arranger, côté interprétation, la pauvreté et la platitude des dialogues répond à des jeux d’acteur souvent stéréotypés, ultra-limités dans leurs mouvements, ne laissant qu’une bribe superficielle au spectateur.
Le propre de Marly-Gomont est l’ennui, et c’est malheureusement le sort qui attend les spectateurs au visionnage du film. Outre les anachronismes et les évidences maladroites, même les sous-textes sociaux du genre « Pourquoi c’est plus dur quand on est Noir ? » sont des questions qui restent en suspens, qui n’amènent aucun traitement, aucune réflexion autre que celle que le temps a dû éprouver et finalement balayer. Et encore. La bataille, complexe, de l’intégration y est par extension souvent amenée avec énormément de clichés et de facilités. Loin, très loin de la brillante narration du récent Good Luck Algeria. Registre différent, certes, mais quelques parallélismes de forme comme de fond sont à dresser.
Que dire alors de la conclusion, où les événements nous sont rappelés façon spectacle pour enfants, encore plus premier degré que premier degré, bande originale tire-larmes à la clef. Dès lors que les fondamentaux sont aussi brouillons, difficile de se relever d’un tel coup d’estoc. Aussi poignante et révélatrice des intolérances raciales et culturelles que soit l’histoire du père de Kamini, un film reste un film avant tout. Le cinéma est affaire de réunion d’arts, de l’image, du son, du jeu, de la narration. Ce n’est pas par plaisir ni par condescendance cruelle que l’on se livre à l’exercice de ce rappel scolaire et simpliste, mais bien parce que Bienvenue à Marly-Gomont en bafouille les définitions les plus élémentaires et ne saurait en être excusé par son propos.
On ne devrait peut être pas, mais on foncièrement triste de devoir taper autant sur les doigts de Kamini, de Bienvenue à Marly-Gomont et de sa belle histoire. Si c'est peut être toute la seconde génération d'immigrés qui se retrouveront dans quelques souvenirs et attitudes, un film doit être jugé comme tel, et non comme une brume nostalgique. Excusable pour ceux qui s'y retrouvent, foncièrement maladroit et dérangeant pour les autres, Bienvenue à Marly-Gomont a le mérite de hisser un papa vers l'immortel pour son fils, sa famille et ses amis. Rien de plus.
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