Les maux pour le dire
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le 28 mars 2019
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Une soirée arrosée, une petite phrase anodine, un déluge de coups, une violence inouïe, puis plus rien. Après l’enfer, le néant. Ce soir là, les foudres se sont abattues sur Mark, qui, pourtant, n’avait rien demandé. Mais la mort l’a épargné, et il faut réussir à relever la tête. Se reconstruire, et chercher un abri. Un monde qui sera le sien, rien qu’à lui. Bienvenue à Marwen.
Robert Zemeckis. Voilà un nom que l’on voit assez régulièrement dans nos salles et qui, pourtant semblait presque (je dis bien presque) tombé dans l’oubli, au regard de l’accueil de ses dernier films par rapport à ses immenses succès passés, à commencer par la trilogie Retour vers le Futur et Forrest Gump. La distribution de Bienvenue à Marwen est symptomatique et représentative de la dynamique actuelle de la filmographie de Robert Zemeckis et de sa notoriété : discrète et nostalgique. Au MK2 Bastille, nous n’étions même pas 10 dans une toute petite salle, avec un petit écran. Comme l’impression de se rendre à un petit spectacle confidentiel, de se replonger dans de vieux souvenirs dans un cadre intimiste. Dans cette salle, nous étions tous, un peu, des Mark Hogancamp. Nous étions venus nous échapper de la grisaille extérieure, nous isoler, pour invoquer notre imaginaire et délaisser la réalité pour un peu moins de deux heures.
Et, dans Bienvenue à Marwen, la frontière entre réalité et imaginaire est on ne peut plus floue. Nous connaissons l’histoire de base, celle d’un homme presque battu à mort, au point de devenir amnésique, et reconstruisant une ville miniature où il crée des histoires lui servant d’exutoire. Et Robert Zemeckis n’hésite pas à prendre de court le spectateur, en opérant des transitions discrètes mais efficaces qui nous font passer du réel à l’imaginaire de manière fluide, laissant à chaque fois le spectateur face à un bref instant de doute, notamment dès les premiers instants du film. Car le cinéaste l’a compris, il ne s’agit pas de dissocier les deux mondes, mais bien de les rendre interdépendants. Mark retranscrit sa souffrance et les violences dont il a été victime à travers des reconstitutions se déroulant lors de la Seconde Guerre Mondiale, et ces mises en scène influencent ses interactions avec le monde extérieur. Pour Mark, c’est une manière d’exorciser un mal oppressant, d’invoquer l’imaginaire, son étrangeté et sa singularité pour l’imposer et l’assumer dans la réalité.
Car le principal tort de Mark, c’est d’avoir un penchant pour les chaussures à talons hauts, généralement associés et réservés aux femmes. Homme ordinaire et sans histoires, il a payé pour ses penchants d’apparence originaux, quand il n’avait rien demandé à personne. A Marwen, personne ne peut le juger, il est le héros, les gens sont là pour lui, et il survit à tous les assauts des soldats allemands, froids, intolérants et impitoyables. Et la dynamique du film consiste en une emprise de plus en plus importante de l’imaginaire sur le réel, briser les carcans de la société pour libérer Mark, d’ouvrir Marwen au monde pour faire accepter sa véritable personnalité, sans ne plus jamais avoir à se cacher. Et l’utilisation de l’imaginaire, quelque chose de très personnel, tarabiscoté, étrange, extraordinaire et surtout singulier, permet de mettre en avant le fait que chacun est unique, que chacun a sa propre façon de percevoir le monde qui l’entoure, et de se conduire comme bon lui semble, sans devoir avoir à se soucier du jugement des autres. Bienvenue à Marwen vient donc créer une collision entre cette singularité et cette masse, en montrant l’importance d’une capacité à s’accepter soi-même d’abord, de suivre ses convictions, pour se faire son propre chemin, grâce aux autres, ou malgré eux.
C’est donc une belle parenthèse mélancolique et touchante que nous offre Robert Zemeckis en ce début d’année. Toujours friand de prouesses visuelles, il impressionne avec ces séquences animées aussi belles que bourrées d’imagination. La belle musique d’Alan Silvestri porte le film, avec, notamment, un très beau thème principal, et Steve Carell est touchant de sincérité et d’authenticité. Globalement, le scénario n’est pas forcément des plus originaux, mais, pourtant, il exploite parfaitement l’histoire originale pour offrir un traitement des plus pertinents, capable de parler à tous et de mettre le spectateur face à ses propres a priori et préjugés. Bienvenue à Marwen ne semble malheureusement pas parti pour faire exploser les compteurs, mais personne ne pourra voler ce beau moment que nous a offert Robert Zemeckis.
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Créée
le 6 janv. 2019
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