“Suburbicon”, c'est un scénario qui traîne depuis bien longtemps dans les tiroirs des frères Coen, finalement porté à l'écran par l'ami Clooney. Et lorsque le film se termine, on ne peut qu'être soulagé que les frangins ne se soient pas risqués eux-mêmes à la réalisation.
Ne nous méprenons pas : « Bienvenue à Suburbicon » est un film sympathique, honnêtement fait, avec de vrais moments de bravoure. Mais il ne raconte rien d'original, n'ajoute rien à la thématique de l'aspect factice du rêve américain, de son hypocrisie.
Du cynisme, il y en a beaucoup, mais jamais assez finement distillé pour laisser émerger une critique novatrice et véritablement pertinente. Tout est assez grand-guignolesque, prévisible, un peu forcé.
Faut dire, le fait que le scénario ressemble fortement à celui de « Fargo » (l'un des chefs d’œuvres des Coen) n'aide pas. Heureusement que les frères ont eu la présence d'esprit de ne pas réaliser aussi « Suburbicon », d'autant plus qu'une œuvre souffrant d'un tel manque de fond aurait pu paraître prétentieuse à travers la mise en scène léchée et étudiée des Coen.
Pour le coup, si certaines critiques reprochent à Clooney de « ne pas savoir filmer » (ce que je trouve un peu dur), le caractère très direct, presque brouillon de sa réalisation, apporte une certaine fraîcheur à l'ensemble, transformant ce qui aurait pu être un film ronflant et suffisant en une œuvre certes mineure, mais agréable à regarder.
Les acteurs sont tous excellents. Julianne Moore est dans un rôle outrancier mais elle joue comme si elle visait l'oscar et Matt Damon, tout en retenue, arrive à faire ressortir le caractère complètement névrosé de son personnage, caché derrière des apparences de normalité crispée.
Et que dire d'Oscar Isaac qui vole totalement la scène dans laquelle il apparaît, et peut-être même l'intégralité du film par cette seule scène. Il incarne un personnage à la moralité ambiguë, totalement décomplexé, tel un électron libre et destructeur dans cette banlieue résidentielle bâtie sur des non-dits. On tient là LE personnage emblématique du cinéma des Coen, celui presque méta, de connivence avec le spectateur, qui semble sortir d'une autre dimension (le narrateur dans « The Big Lebowski », le vendeur de bibles dans « O'Brother », le tueur à gages dans « Blood Simple »...).
En ce qui concerne la réal de Clooney, elle est certes basique, mais elle fonctionne. La gestion assez claustrophobe de l'espace est bien pensée, avec une ville qui se limite à ses petites maisons, ses haies et ses barrières pour la paranoïa ambiante, le supermarché pour la consommation et l'entreprise pour l'hypocrisie des rapports sociaux... Et c'est tout. Rien de culturel, pas de loisirs, pas d'espoir d'ouverture sur le monde pour ce petit garçon qui tente tant bien que mal de s'évader par le baseball et en se nouant d'amitié avec le garçon d'en face. J'en profite, au passage, pour saluer le jeu d'acteur du gamin, vraiment crédible.
Les scènes de nuit où les habitants harcèlent la famille afro-américaine fraîchement installée dans la résidence sont réellement oppressantes, violentes, et bien réalisées.
Les pétages de plombs et les scènes de violence extrême sont également un bon point pour le film.
On l'aura compris, « Suburbicon » rabâche la même idée en boucle :« On pense que le danger vient de l'extérieur, alors on se replie sur nous-même tant et si bien que nous devenons les monstres. »
Si cette morale, bien qu'éculée, avait été amenée plus finement, avec un véritable sens de la nuance, nul doute que le film aurait pu prétendre à un statut supérieur à celui de simple « divertissement sympathique et jouissif par instants ».
Allez, le film nous laisse au moins avec un dernier plan de toute beauté, visuelle et symbolique.