Alors on fait les malins, les mecs qui pleurent pas, les cinéphiles qui se pavanent sur les CLASSIQUES à voir sans qu'on sache trop pourquoi. On est sarcastiques parce que c'est cool et on a du mal à faire l'éloge des fins heureuses. On attend l'Apocalypse à chaque coin de rue et on se persuade que toute les histoires d'amour sont de jolies introductions à des histoires de rupture. On mange son kilo de viande hebdomadaire parce que c'est dans notre nature tu comprends et on considère que la nature n'est qu'une attraction, notre propriété.
Billy et Molly, injustement non titré Molly et Billy ne révolutionne pas le petit écran par son scénario. Un homme sauve une loutre d'une potentielle mort, s'en occupe et établit un lien très fort. Ça ferait 5 minutes dans un reel Instagram à la con qu'on serait toustes content•e•s, 1M de vues, 15K de likes et hop on passe au prochain animal content. Alors quoi B&M est très beau ? Oui mais comme plein de documentaires National Geo. Donc j'aurais mis 10 juste parce qu'il y a une loutre ? Peut-être oui, p'têt ben qu'non.
Charlie Hamilton-James va s'amuser à jouer avec nos attentes, préconçus et craintes.
Craintes parce que B&M c'est la bête histoire de l'humain qui apprivoise la nature, une fois de plus, sous couvert de vouloir la sauver. On le sait maintenant, l'influence humaine sur la nature quel qu'en soit la raison peut-être désastreuse. Tentez d'introduire toute une famille de castors dans une faune et le biome entier se trouvera changé en quelques années, bouleversé par des rapports entre animaux qui n'avaient pas cours. Billy, c'est donc l'Homme, l'homme en fait, qui veut bien faire. On ne peut pas le blâmer de vouloir redonner des couleurs à une potite loutre mal en point et donc de la nourrir. Seulement le film, et surtout sa femme qui intervient beaucoup en voix off nous interpelle vite sur le fait que Molly doit pouvoir reprendre sa vie sauvage aussitôt remise sur pied. Billy finit lui aussi par le comprendre, pas tant par sagesse que parce que l'animal ne résiste pas à l'appel sauvage, mieux, il ne lui a jamais été sourd.
Car B&M se veut naturaliste, si l'on épouse au départ le point de vue de Billy et donc d'une adoption magnifique, Susan au détour d'une ballade réalise que Molly a une vie, que ses amis humains ne sont qu'une distraction ou peut-être moins tristement un lien affectif fort mais qui ne reste qu'une relation au sein d'une vie sauvage. La piscine à boule c'est cool, le petit nid douillet c'est chouette mais la loutre ne vit pas de ça, ne vit pas pour ça. En revanche Billy...
Le film est assez clair très vite sur son histoire, Susan et Billy n'ont pas d'enfants, n'en auront jamais et ont un trou dans la poitrine, un vide, un manquement dans une vie où iels pensaient tout avoir, se convainquant qu'iels étaient heureux•ses alors que le quotidien les a rattrapés. C'est terriblement convenu comme récit mais une fois de plus c'est Otter love story ne veut rien révolutionner, vous ne verrez même pas de pleurs, pas de cris, à peine quelques rires. La tristesse y est évoquée par des mots, tout en retenu. Des plans fixes et presque clinique sur la vie de tout les jours, un travail où toute nature est absente, les jours qui passent et cette nature plate.
Le Shetland c'est l'autre personnage principal du film. Aucune verticalité, pas d'arbre et pourtant une nature belle à tomber par terre. Le film ne joue donc que sur des plans aux drone pour encore plus aplatir les paysages, les étaler tout du long de l'écran. Les couleurs bien que retravaillées se jouent du fil des saisons. Au vert de l'été se substitut les vagues grises de l'automne puis la neige, implacable. Viennent alors trancher lors d'une nuit festive les torches enflammées avant un final époustouflant dans le seul espace qu'on ne suggérait (spoilers incoming). Tout les éléments sont représentés, l'air par ce ciel qui bouffe l'écran, tout le temps. Le feu qui consume les vestiges d'une civilisation païenne. La terre et l'eau qui semblent indissociables. Et cette tempête, métaphore un peu facile des tourments du héros mais dans laquelle il arrive à trouver un peu de calme, ce qui transparaît parfaitement à l'écran grâce à de magnifiques plans, peu commentés (et toujours avec malice) et accompagnés d'une musique qui fait plus que le café. National Geographic prouvent que le documentaire, ça les connaît.
On regrettera presque le manque d’aspérité même si cette quasi perfection qui lorgne un peu trop vers l'esthétique intelligence artificielle sied bien à la platitude des paysages où presque rien ne semble pousser. Parfait décor d'une pré retraite qui ne dit pas son nom. La vieillesse est déjà là mais notre beau couple ne s'en inquiète pas.
On en revient donc à notre loutre, qui ne s'apprivoise pas, parce que Billy reste suffisamment malin pour lui apprendre à pêcher et que même si il vire en papa gaga avec sa maisonnette (probablement l'un des meilleurs plan du film avec ce trompe-l’œil fou) se doute que toute cette histoire n'est que de passage. Alors nous bêtement on s'attend à un film qui finira par la mort de la loutre ou de celle du vieux pêcheur ou même pourquoi pas celle de sa femme (j'ai vraiment cru au ressort scénaristique de mettre une voix off post mortem). On attend le drame qui ne vient pas parce qu'il semble impensable que ce récit soit juste celui d'une belle rencontre. Parce qu'il semble impensable que la nature nous survive, trouve son chemin et que chacun de son côté on soit en paix. C'est pourtant le chemin que prend le scénario. Molly a un fils (terrible ironie), Molly doit partir.
Il reste pourtant une dernière chose à faire pour Billy, découvrir l'univers de son amie. En cela le film est admirable car il se conclut par un renversement, l'humain comme simple visiteur, invité dans un milieu qui n'est pas le sien. Armé d'un tuba, le quinquagénaire arpent alors des lieux qu'on n'aurait soupçonné. La verticalité et la végétation reviennent, les couleurs n'ont rien à envier à l'aurore boréale vue précédemment et le temps se suspend. Susan regarde la dernière folie de son mari avant un retour à la vie normale. Celui-ci se rend compte qu'il n'est pas seul, qu'il ne le sera jamais. Molly reste joueuse mais pas dépendante.
Reste un sujet sensible, la chienne Jade. Je l'ai volontairement omise mais la cinquième roue du carrosse traverse le film avec sa solitude, son absence du discours, sa ptite tête. Oui les chiens sont ma vie, oui pour la première fois je n'en ai pourtant si peu était attendri voir concerné. Pourtant Jade était là avant, Jade représente l'animal parfaitement domestiqué. Jade est leur quotidien, Jade est ce qu'on pensait avoir besoin et ce qui nous suffisait. Elle joue un peu avec Molly mais personne ne joue avec elle. Jusqu'à un ultime plan où elle reçoit un ballon en cadeau. Jade est belle. Ce film est beau. J'ai du sable dans les yeux.