Birdman ressemble - à s'y méprendre - à l'antithèse du film à Oscars. Exercice de style singulier et personnel pour un pitch fantastique et déluré : nous sommes loin, très loin des biopics classiques et formatés que l'institution a l'habitude de récompenser. C'est que, sous ses airs de fresque artistique, Birdman parle d'Hollywood. De sa schizophrénie, de ses maux et de son mal-être.
La mise en abyme est évidente, et prend plusieurs formes : un film mettant en scène une mise en scène (donnant lieu à de jubilatoires ambiguïtés quant à la question de savoir si les acteurs jouent leur rôle ou s'emportent) et Keaton de retour pour un film qui parle de son retour. Il y a, également, cette acerbe introduction lors de laquelle (une fois le moins bon comédien de la troupe éliminé par la télékinésie de Thomson), contraint d'employer un nouvel acteur, le duo Riggan-Brandon passe en revue les Harrelson, Fassbender, Renner, tous occupés par le tournage d'une franchise de super-héros. Ironie du sort (ou pas du tout) : c'est l'ancien Hulk Edward Norton (génial, comme d’habitude) - ici intello prétentieux, adepte de l’érection so real - qui le remplace.
C'est d'une excentricité sans limites, inhérente à cette dérision, que le film tire le plus de bénéfices : premièrement, cet univers fantastique permet à Iñárritu de s'adonner aux effets visuels les plus délirants, la lévitation côtoyant les voix et les représentations schizophrènes de Riggan, personnage pathétique et attachant. L'illusion est d'autant plus éloquente qu'elle en côtoie une autre, scénique cette fois-ci : ce faux (mais peu importe) plan-séquence unique, qui porte tout le film et diffuse un émerveillement sans précédent devant cette caméra qui se balade et s’immisce partout sans barrières et sans contraintes, se jouant sans cesse des désordres de l'intérieur et de l'extérieur.
Et des désordres il y en a nombre. Tant que l'on croirait parfois visionner un film de Woody Allen. Même dépression contagieuse (des personnages entre eux jusqu'au spectateur), même nihilisme (quoique plus voilé ici, malgré cet impressionnant speech d'Emma Stone), et surtout même humour. Celui des situations incongrues, cocasses et désopilantes - qui atteint son paroxysme lors de l'hilarante balade en slip de Keaton, acteur plus débridé que jamais.
Or le cinéaste n'a cure de ces passages que par accès. La plupart du temps, il s'empreint en effet d'une poésie à la fois très douce et très amère, les morceaux de batterie s’imprégnant des questionnements existentiels ou des sarcasmes égocentriques de ses personnages. La médiatisation et la starification sont évoquées avec des rancœurs encore plus théâtrales, jusqu'à ce joyeux et délirant retournement, où, enfin, l'acteur trouve la reconnaissance de la critique qu'il recherchait. Mais à quel prix ? Et Iñárritu d'esquiver la question en concluant par une ultime galipette, ouverte et sujette à des interprétations diverses.
Au-delà de son impressionnante démonstration technique, Birdman recèle une audacieuse démarche artistique : construire, au travers de cette figure humaine schizophréno-héroïque, le prisme d'un microcosme tout entier, qui se porte bien tant (et parce) qu'il est au centre du monde. Bienvenue à Hollywood.