Avec « BIRDMAN ou la surprenante vertu de l’ignorance », le réalisateur mexicain Alejandro G. Inarritu, connu pour Amours Chiennes, 21 Grammes, Babel, Biutiful, signe ici une comédie noir. Dans celle-ci, Riggan Thomson, autrefois célèbre pour son rôle de super-héros ailé, n’est plus qu’un acteur démodé qui va essayer de relancer sa carrière, et tenter d’obtenir une réelle reconnaissance artistique en montant et interprétant une audacieuse pièce de théâtre sur Broadway. Le film suit les quelques jours précédent la première de la pièce pendant lesquels il va devoir faire face à son ex-femme, sa maîtresse, et sa fille délaissée, sa gloire passée, ses envies, et son redoutable égo. Tout ça sur fond de prouesse technique car le film s’apparente à un faux plan-séquence de deux heures. Possédant plusieurs qualités, le procédé donne une cohérence et un charme à la première partie, mais devient laborieux et poussif dans sa deuxième partie, coulant lentement le film dans les vingt dernières minutes où tout ce qui avait réussit à être évité jusqu’alors resurgit.

Le long-métrage possède des qualités qu’il est important de relever, car c’est ce qui nous étourdit au premier abord. À commencer par le casting et l’excellente idée d’avoir offert à Michael Keaton le rôle de Riggan, l’ex-star hollywoodienne qui cherche à se prouver à lui même et aux autres qu’il est un artiste et qu’il doit être reconnu comme tel. Ce choix apporte au film son côté méta, grinçant, faisant écho au rôle de Batman tenu par Keaton dans les opus de Tim Burton. Et ce rôle d’homme en quête du recouvrement de son estime de lui, est comme une évidence, son meilleur depuis longtemps. Sa présence renforce le réalisme de l’histoire, car comme le personnage qu’il incarne, il n’a pas eu après Batman la possibilité de continuer dans la même voie. L’authenticité de son jeu, apporte une sincérité à ses motivations, et il est capable de passer d’un extrême à l’autre entre le début et la fin d’une même scène. Le film dépeint entre autre le milieu du théâtre New-Yorkais, ses frasques et ses vicissitudes. Le personnage qui les synthétise est celui de Mike Shiner, un comédien talentueux, tout entier dévoué à son art et du coup d’une vanité exacerbée, interprété par Edward Norton en grande forme qui est justement connu pour son travail au cinéma comme sur les planches. Tous les acteurs sont aux petits oignons. Que ce soit Zach Galifianakis en producteur dépassé qui tente quoi qu’il advienne de gérer au mieux son ami metteur en scène et la pièce, rôle de personnage sensé qui dénote avec la folie habituelle de ses personnages. Ou encore Emma Stone, parfaite en la fille aux rapports tendus avec son père, qui est par ailleurs son assistante personnelle, mais qui a au final bien plus en commun avec son père qu’elle ne le pense. Elle est celle qui observe. Par ailleurs Naomi Watts toujours juste incarne une comédienne qui atteint enfin son rêve, être actrice à Broadway ce qui semble la perturber. À noter les honnêtes prestations de Andrea Riseborough et Amy Ryan. Chacun de ces personnages se voient rappeler que la réalité est souvent différente que la haute estime qu’on s’était faite de soit.

La performance des acteurs est à saluer d’autant plus que celle-ci a du être immensément complexe à cause de la mise en scène. Car hormis quelques images du prologue et de l’épilogue le film prend l’apparence d’un plan unique censé rendre compte de l’esprit du personnage principal. Tour de force visuel que l’on doit au fantastique travail d’un des directeurs de la photographie des plus demandé du cinéma ces dernières années, réputé pour ses techniques révolutionnaires, Emmanuel Lubezki. Son travail insolite a été récompensé de deux BAFTA, a été nommé six fois aux Oscars, et en a remporté un en 2014 pour Gravity d’Alfonso Cuaron, avec qui il avait déjà collaboré sur Les Fils de l’Homme. Il a aussi travaillé sur Sleepy Hollow, Les Désastreuses aventure des orphelins de Baudelaire, Shine a Light, Burn After Reading, et Le Nouveau Monde de Terrence Malick. Cette technique permet d’unir les séquences entre elles et amène une fluidité indéniable à la narration. L’unité de lieux, le théâtre, se prête très justement à ce procédé, car il apporte une vraie théâtralité à l’ensemble. Par ailleurs il est cohérent dans le travail d’Inarritu, qui a abordé dans tous ses films le thème de l’interconnexion entre les individus rendu ici littéral. La comédie demande du rythme et le son lui en apporte. Le film cadencé par une musique à la batterie composé par Antonio Sanchez accompagne Riggan et ses humeurs. Les perceptions de ce dernier influencent donc le mouvement de caméra auquel le rythme des percussions est lié. Inarritu tente de nous piéger dans la peau de son personnage principal. Que l’on ne puisse pas s’en échapper, afin que l’on comprenne sa façon de penser, de voir le monde. Tout ça est agrémenté de dialogues cyniques, parfois drôles. Et les thèmes quoi que manquant d’originalité promettent une réflexion intéressante sur la quête de reconnaissance, la différence d’âge, la paternité, l’importance de la critique en milieu artistique, l’importance grandissante des réseaux sociaux. Le réalisateur livrant une première heure de film assez plaisante.

Malheureusement, comme pour nous punir d’avoir apprécié cette première moitié, Inarritu nous en offre une seconde nettement moins bonne. La mise en abîme devient lourde, et ce qui avait jusqu’à présent été évité s’étale à l’écran. À savoir le surplus de pathos à base de paternalisme, d’incertitudes sentimentales mais aussi le soulignement des émotions, la lourdeur du symbolisme, surtout dans sa dernière scène. Le film, comme son personnage, commence petit à petit à tourner en rond, et tout prend un désagréable effet de surenchère. Les moments qui se veulent comiques deviennent laborieux, comme les incursions hors du théâtre de Riggan. Toute cette chorégraphie dénaturalise l’ensemble et empêche tout apparition de spontanéité, la sensation d’étouffer se fait ressentir. Le film réglé comme du papier à musique ne s’arrête jamais. Il ne prend pas le temps à une ou deux exceptions près (les scènes sur le toit) de créer un lien avec les personnages qui deviennent dés lors les minces pantins du réalisateur au service de sa caméra véloce à la recherche d’une prouesse qui en devient irritante. On tourne, et retourne, le tourbillon de caméra étourdit et l’on vacille le souffle court. La musique d’Antonio Sanchez, qui apparaît à deux reprises dans le champ à la batterie, nous ordonne de nous relever et de continuer. Jamais l’émotion ne surgira, jamais. Le réalisateur est trop occupé par l’esthétisme, l’implacable recherche de la virtuosité de sa mise en scène.

Cette recherche de « coup de maître », pourquoi d’ailleurs ? Et bien parce que. Justifié par moment lorsque l’on est aux côtés du personnage principal avec ces longs travelings en caméra subjective mais à quoi bon le reste du temps lorsque l’on change de point de vue ? Il n’est pas impossible qu’un peu de montage classique aurait fait du bien au récit. Car être un bon technicien oui, mais au service de quoi ? Pas grand chose au final. Juste de l’esbroufe. On ne ressent rien, on admire le spectacle d’un réalisateur qui a oublié ce qui avait fait la richesse de son premier film. Et on se dit que si le film est couvert de louanges et de prix alors Inarritu continuera dans cette voix bien malheureusement.
Inarritu ne remet jamais en question son concept, il ne s’interroge pas réellement sur tous les sujets intéressants qu’il avait sous la main. Le voilà retombé dans ses travers, cherchant à s’exprimer et réfléchir sur ses sujets avec une subtilité pachydermique. Le film aurait mérité de s’arrêter un peu plus sur la matérialisation de l’égo de Riggan suffisant et narcissique sous les traits de Birdman, son combat qu’il mène contre lui-même, et sa vie qu’il joue à travers cette seconde chance qu’il espère obtenir sur scène.

La petite pique adressée aux critiques de cinéma fait sourire. Mais au-delà des tares que lui adresse Riggan et avec un peu de recul, comment ne pas être d’accord avec cette Tabitha et les questions qu’elle soulève ? Car aucun personnage du film, hormis celui d’Emma Stone n’est réellement attachant, ils sont tous plus ou moins égocentrés, hypocrites, et en dehors de toute réalité, méprisant ceux qui le leur font savoir. Riggan fait savoir à la critique qu’elle ne parle pas des comédiens, de la technique, de la lumière, etc. Il est vrai que de ce point de vue Birdman n’a pas grand chose à se reprocher. Mais si c’est pour ne le mettre au service de rien alors l’entreprise est vaine. Je pense que c’est avec ce film que je dis définitivement au revoir au cinéma d’Alejandro Inarritu. Trop superficiel, l’échec final de Birdman étant à la hauteur de la vanité de son réalisateur.
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le 23 févr. 2015

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