"a poor player that struts and frets his hour upon the stage" *
Je ne vais pas vous refaire le pitch de l'ancienne célébrité de blockbuster qui tente de se reconvertir en vedette de Broadway. Dès le début, dès les premières images, Inarritu (désolé d'avance aux hispanophones avertis, mon clavier ne possède pas la petite vaguelette pour mettre sur le "n" ; et puis, je suis un peu trop feignasse pour la chercher longtemps) éloigne de nous toute prétention réaliste. Nous sommes ici dans le cinéma. Un cinéma dont le réalisateur maîtrise tous les aspects, aussi bien visuels, sonores que narratifs.
La première partie est très dense. On nous y présente les personnages, on nous plonge dans une ambiance quasi-cauchemardesque, et on y découvre une flopée de thématiques dont certaines, il est vrai, sont effleurées, mais qui toutes tournent autour du monde des comédiens.
Le film tourne autour du conflit d'égos entre deux comédiens. D'un côté Riggan qui veut utiliser cette pièce pour se faire re-connaître du public. De l'autre Mike (Edward Norton), qui arrive dans ce projet en étant la star, avec ses caprices, son charme qu'il croit irrésistible, et la ferme volonté de tout chambouler. Chaque personnage est tour à tour méprisable et pitoyable. Chacun cherche sa reconnaissance.
Chacun a besoin de la scène. Il faut voir Mike bander sur scène alors qu'il en est incapable dans la véritable vie. Le public et sa reconnaissance devient indispensable dans sa vie. Quel que soit le public : la jeune Sam, la fille de Riggan, est un public comme les autres, un public devant lequel il n'hésite pas à se dénuder, au propre comme au figuré.
"Sur le plateau il n'y a que la vérité qui compte, alors que dans la vie tu es un menteur", lui reproche Lesley (Naomie Watts). On assiste alors à une inversion des valeurs : alors que la scène est sensée être une représentation du monde, elle en devient en fait la réalité, et c'est le reste du monde, l'extérieur, qui prend des allures irréelles. La rue est un prolongement de la scène. Voilà pourquoi les acteurs peuvent s'y promener en slip, comme dans les coulisses.
De fait, le monde du théâtre semble obéir à ses propres règles, différentes de celles de l'extérieur. Des règles temporelles, par exemple. Qu'est-ce que c'est que ces plans qui englobent des ellipses, qui se jouent du temps en passant, sans avertissement, d'un jour à l'autre le long d'un détour de caméra ?
Nous sommes dans un monde à part, et la mise en scène d'Inarritu nous y plonge sans peine. Une mise en scène très immersive : nous sommes entièrement aux côtés de Riggan, y compris dans ses moments de folie.
Folie ou magie ? Difficile de se faire une idée précise de ce qui se passe parfois devant nous (autour de nous ?). Les objets bougent tout seuls, les voix se multiplient, les personnages sont en lévitation. Et l'un des tours de force d'Inarritu, c'est de ne pas nous surprendre plus que ça avec ces procédés magiques.
Il n'y a pas que la vie des acteurs dans ce film. Tout le monde du spectacle en prend plein la figure : les critiques, les producteurs avec leur visée uniquement commerciale, le public, les blockbusters qui prennent les gens pour des cons et les spectacles masturbatoires, etc.
La seconde moitié du film est moins fascinante. Plus concentrée sur la déprime de Riggan et sa transformation. Avce une mise en scène qui semble lancée en roues libres. Mais qu'importe, c'est presque accessoire : ça reste quand même impressionnant, tant techniquement que dans le jeu d'acteur.
Cela n'empêche pas que le film soit globalement une belle réussite, dense, une véritable œuvre cinématographique, dans le sens que le réalisateur sait exploiter au maximum les ressources du 7ème art.
* Shakespeare, MacBeth, acte 5, scène 5