Le film peut se voir comme une curiosité. Enchainer quatre plans séquences qui accrochés bout à bout n'en constituent qu'un seul est en soit une prouesse qui vaut le détour même si un procédé aussi artificiel peut desservir le film en l'enfermant dans une trajectoire spatiale et temporelle à une seule dimension (ou du moins c'est ce qu'on croit, voir plus loin.)
Mais on peut aussi l'envisager différemment. Comme l'occasion de suivre au plus près l'enfermement obsessionnel d'un personnage hors du commun.
Et de vivre une expérience très étrange. En suivant deux heures durant Riggan (M. Keaton), on ne quitte jamais le réel qui est le sien, passant d'une loge à une scène, puis de la scène à un bar de nuit...etc. Mais paradoxalement, ce réel construit par le cinéma d'Inarritu et qui nous est donné à vivre est sans cesse remis en cause par la logique même. Par exemple : Riggan quitte sa loge et va jouer une scène avec ses partenaires. Celle-ci terminée, il retourne à sa loge où on le voit poursuivre une conversation avec ces mêmes partenaires (mais qui se sont changés) et dont le début nous a échappé. On comprend forcément que cette discussion se produit ultérieurement et non pas dans un même continuum de temps. Il y a donc une ellipse temporelle mais dans une continuité spatiale à laquelle nous sommes enferrés, limités que nous sommes par l'enchainement du plan séquence.
Autre exemple : lorsque Riggan sort fumer une cigarette à l’extérieur du théâtre, la porte se bloque involontairement et le voici enfermé dehors en slip, obligé de traverser tout Time Square blindé de touristes. Là aussi, il y a illusion. Nous imaginons alors être dans une scène de cinéma, entourés de figurants nécessaires au bon déroulement d'un des points culminants du plan séquence en cours. En réalité, il n'en est rien puisque la scène s'est précisément déroulée en direct, c'est-à-dire sans que les touristes présents sur place, ni les policiers de surveillance n'aient été avertis. Keaton (Riggan) traverse ainsi Time Square "pour de vrai" alors qu'on croyait qu'il le faisait" pour de faux". Un bout de la séquence, filmé d'ailleurs par un smartphone, atterrit "pour de vrai" sur les réseaux sociaux et à fait le buzz pour de vrai, "l'acteur Michael Keaton ayant été filmé quasiment nu sur Time Square".
Ce décalage permanent auquel nous sommes soumis entre vrai réel et faux réel me semble d'autant plus intéressant qu'il n'est pas gratuit, le personnage de Riggan étant lui-même constamment scindé entre deux réalités, celle du passé, de son statut de héros imaginaire (Birdman) et celle du présent où il tente de revivre via la pièce de théâtre qu'il monte et interprète.
Ajoutons à cela la performance de Keaton qui joue quasiment son propre rôle, lui-même ayant connu son heure de gloire au début des années 90 en tant que superhéros à l'écran ( Batman chez Tim Burton).
Un film qui n'en convaincra pas certains (j'en connais) mais que pour ma part j'ai trouvé très intéressant sur la perception de la réalité.
8/10