Birdman ou la surprenante métamorphose d'un génie

(Critique écrite en 2015, alors que ma cinéphilie n'était qu'à son avènement)


Alejandro González Iñárritu nous avait habitué à des drames très esthétiques comme le sublime Babel qui relevait le défi de relier quatre cultures totalement différentes (américaine, mexicaine, marocaine et japonaise) par des liens que le réalisateur nous faisait découvrir tout au long du film. Mais le réalisateur récemment oscarisé change ici totalement de cap pour affronter les défis de la comédie dramatique, mais sans en exploiter les codes tels que les violons ou autres instruments mélancoliques. Iñárritu joue d'ailleurs de cette musique pour montrer le ridicule qu'elle peut prendre, mais également comment le spectateur peut se laisser abuser. Il n'a d'ailleurs pas besoin de ça pour sublimer son film, sa démarche artistique s'en occupant très bien. En effet, le film est tourné du début à la fin (enfin presque, je vous laisse découvrir la fin par vous même...) en un seul plan-séquence, la caméra suivant les personnages, tournant et flottant autour d'eux, survolant Broadway ou le théâtre comme le ferait tout aussi bien un oiseau. Le principal défi était de soigner les transitions temporelles et il est remarquablement réussi.
"How did we end up here ? This place is horrible. Smells like balls." (Comment en est-on arrivé là ? Cet endroit est sordide. Ça sent le slip.) Les premières phrases du film résonnent comme l'état des lieux des productions cinématographiques actuelles où pullulent les blockbusters préfabriqués. Heureusement dans ce paysage agonisant naissent certaines lueurs telles que Birdman, l'anti-film de super-héros par excellence. Iñárritu déclarait à propos de ce type de films dans une interview accordée à Deadline : "Pour moi, c’est comme du poison, comme un génocide artistique car le public s’habitue à ce type d’histoires, il est surexposé à ces pitchs expéditifs et ces explosions géantes qui ne disent absolument rien sur le genre humain ou l’expérience de la vie." Le réalisateur mexicain se moque d'ailleurs de ces "explosions géantes" en en imaginant une en plein New York, lorsque le "héros" Riggan Thomson - alias Birdman - est en pleine réflexion existentielle de lendemain de cuite. Personne n'est finalement épargné par le film puisqu'Iñárritu s'en prend également aux critiques qui ne font que coller des étiquettes sur les films ou autres œuvres artistiques. Alors si aujourd'hui je m'improvise critique, je préfère au moins coller sur Birdman une étiquette généreuse.
Mais si le film est très réussi, Iñárritu le doit aussi à ses acteurs, tout aussi excellents. Commençons d'abord par Michael Keaton, dont la schizophrénie déborde sur tous les bords. Il y a d'abord le Michael Keaton acteur de blockbuster ayant incarné le Batman de Burton qui ressuscite dans le cinéma d'auteur, de la même façon que son personnage Riggan Thomson, ex-vedette de la franchise "Birdman" renaît grâce à son projet théâtral. Ce Riggan Thomson est d'ailleurs la schizophrénie incarnée, d'abord par son double super-héros qui le hante en permanence néanmoins contre lequel il s'émancipe progressivement, mais aussi par son histoire, dont la pièce de Raymond Carver qu'il choisit d'adapter en est la réplique presque parfaite, jusque dans les moindres détails... On ne peut alors s'empêcher de penser au Dernier métro de Truffaut où le réalisateur établissait également un parallèle entre la pièce et le réel. Les seconds rôles sont également remarquablement interprétés, tant Edward Norton en acteur égocentrique et provoquant que Emma Stone en fille désabusée aux grands yeux pleins de hargne. Iñárritu nous laisse d'ailleurs parfois deviner les actions et réactions de Thomson à travers le regard plein d'expression de sa fille jouée par l'actrice de La Couleur des sentiments. Même Zach Galifianakis, l'acteur grotesque et hilarant de Very Bad Trip, est presque méconnaissable et tire son épingle du jeu dans le rôle du producteur et du meilleur ami. Le choix des acteurs a donc été primordial pour Iñárritu, de la même façon qu'il l'est pour Riggan Thomson dans sa pièce de théâtre, même si on espère tous que le réalisateur n'a pas eu à employer les mêmes moyens que le metteur en scène pour y parvenir...
Même si le début du film nous laisse perplexe, on est vite entraîné par les méandres dans lesquelles nous emmène Birdman, grâce au rythme imposé par les batteries de jazz qui accompagnent le film. Ces batteries surgissent d'ailleurs également visuellement dans le film, dans des moments parfois mêmes absolument incohérents. N'oublions pas que le film est d'abord une comédie, et certains passages sont toujours là pour nous le rappeler et nous faire rire, comme lorsque Thompson se retrouve malgré lui en slip sur Times Square.
Si Gravity - film également mexicain et principal vainqueur des Oscars 2014 - m'avait laissé sur ma fin, Birdman mérite amplement toutes ses statuettes, et l'on se demande encore ce qui s'est passé pour que Michael Keaton n'en obtienne pas une.

Thiebs
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le 28 févr. 2015

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