En 2015 Birdman déboule comme le film à Oscars de service affublé d'une aura de produit indépendant et outrageusement conceptuel. En passant sur cette émulation collective, on peut profiter à plein du spectacle pour ce qu'il est et apprécier quelques moments relativement aimables ou gentiment grinçants, comme les envolées de Norton, les passages avec la critique ou encore la diatribe de la 40e minute que se prend Keaton à propos de son insignifiance. Néanmoins Birdman n'est dans l'ensemble qu'un happening grossier construit sur un chapelet de banalités.

La différence d'univers ne change rien à la vision d'Inarritu (21 grammes, Babel, Amours chiennes), insider critique concernant le monde tel qu'il est, amoureux des grands espaces et roudoudou écorché en diable. Son approche du milieu des acteurs est pour le moins complaisante et caricature : Birdman passe du temps à brocarder les clichés pour mieux s'y vautrer de façon 'pure'. Les commentaires amers de Keaton sont ronflants, l'ouverture pitoyable (« qu'est-ce qu'on fout là »). Le tableau est vieillot, miteux et méchamment pauvre : les acteurs hystériques, les critiques culturels qui sont tous des ratés. Le rôle des réseaux sociaux est sans cesse mis en avant mais n'apporte rien sur les problématiques liées à l'image de soi, à propos de quoi Birdman gueule sans arrêt.

Ce phénomène se connecte plutôt à la peinture d'une modernité si vilaine, mais dans laquelle on continue de jouer, car elle n'entrave pas nos désirs et a même les arguments pour amadouer les histrions et vaniteux en tous genres. Là-dessus Birdman s'ouvre un boulevard, qu'il remplit à coup de cynisme existentiel de méduses romanesques et de petits coups rigolos. Inarritu reste donc le nez dans le guidon avec ses petits protagonistes à l'excentricité mondaine. Birdman se profile ainsi comme une définition, déjà un peu datée malgré tous ses effets mais néanmoins très nette, de l'artiste en tant que figure bourgeoise, l'artiste comme compétiteur immature compensant par des performances n'ayant de valeur qu'en fonction du nombre de personnes qu'elles touchent et éventuellement en fonction des pudeurs ou des conventions qu'elles remuent. L'artiste comme entertainer au sens le plus dévoyé mais flamboyant, donc.

Heureusement pour Birdman c'est le contenant qui fait son charme. Le film a un certain dynamisme en tant qu'expérience, proposant une immersion avec un semblant de temps réel grâce à son procédé : en effet il se présente comme un plan-séquence de deux heures. Il ne l'est évidemment pas, en plus de compter quelques ellipses logiques. Le remplissage suractif est à même de faire illusion sur le moment, même si l'univers est irritant ou l'approche perçue comme ridicule. Cette qualité certaine n'est en tout cas pas pleine et mis en concurrence avec d'autres films usant du procédé, Birdman perd sa crédibilité et même son attrait ludique. En effet, Snake Eyes de De Palma ou Irreversible de Noé ont utilisé cette illusion de 'prise sur le vif' en continue de façon profondément originales tout en assumant l'artificialité de leurs rouages, laquelle était au cœur des démonstrations. Pour le reste, La Corde d'Hitchcock, le précurseur, avait le courage du jusqu'au-boutisme et de la cohérence formelle, tandis que L'arche russe de Sokourov a tenu le pari pour de vrai, lui.

https://zogarok.wordpress.com/2015/03/15/birdman/

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le 14 mars 2015

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